L’épuisement de la baisse des valeurs de la tech américaine et la stabilisation du marché obligataire US pourraient permettre, à court terme, un rebond des marchés des actions. Mais l’idée souvent évoquée d’un « pic d’inflation » doit être relativisée.
Du point de vue de l’investisseur américain l’événement essentiel des dernières semaines a été la nouvelle correction du monde de la tech (graphique 1). Cette correction est sans rapport direct avec les évolutions macro-économiques récentes. Elle représente la poursuite d’un processus d’assainissement après la bulle des valeurs du « monde de demain » achetées en masse par les investisseurs individuels pendant l’année 2020. La bonne nouvelle est que le processus de normalisation des cours de bourse semble désormais très mûr, comme en témoigne aussi les forts dégagements dans le monde des cryptoactifs.
Outre la bonne nouvelle de l’assainissement du marché de la tech, les indicateurs économiques récents suggèrent que l’économie américaine pourrait être en train de passer de la surchauffe à une phase de modération (graphique 2). La hausse vertigineuse des prix de l’immobilier et la flambée des taux hypothécaires semblent enfin décourager les acheteurs, comme l’indique la forte baisse des ventes de maisons neuves en avril (-16,6%, après déjà
-0,5% en mars). Il faut cependant rester prudent car cette baisse témoigne aussi, voire surtout, d’un déficit d’offre sur un marché où la demande reste forte. Il s’agirait donc plus d’un craquement que d’un krach. L’indice PMI composite[1] a par ailleurs baissé sensiblement au mois de mai (à 53,8, après 56,0 en avril), signe d’une normalisation de la croissance. Enfin, les demandes d’indemnités chômage ont légèrement remonté depuis quelques semaines, pour s’installer au-dessus de 200.000 par mois. Si la modération de l’économie américaine se confirmait, elle alimenterait l’idée optimiste du « pic d’inflation », idée souvent évoquée sur les marchés ces derniers jours et appuyée par l’accalmie des mesures d’inflation sous-jacentes des derniers mois (+0,3% sur le déflateur de la consommation hors alimentation et énergie en avril, pour le troisième mois consécutif).
Cette idée d’un pic d’inflation ne ferait cependant que valider les anticipations déjà anciennes des marchés financiers et même des ménages. Les prix des marchés n’ont en effet jamais intégré le scénario d’une inflation durablement forte (graphique 3). Alors que l’inflation américaine se situe à +8% aujourd’hui (en glissement annuel), les marchés anticipent qu’elle se situera en moyenne à moins de +3% par an au cours des dix prochaines années. Cet ancrage des anticipations d’inflation à moyen et long terme est aussi présent chez les ménages, comme le montre mois après mois l’enquête de l’Université du Michigan. La normalisation de l’inflation étant déjà intégrée par les agents, elle a donc peu de chances, si elle se réalise, de produire une forte baisse des taux à long terme – sauf à parier sur une récession, ce qui nous semble prématuré.
En Europe, le ralentissement de l’inflation ne semble pas encore à l’ordre du jour. Dans les enquêtes récentes (IFO[2], INSEE, PMI[3]), les entreprises de la zone euro témoignent pour l’instant d’une bonne résilience économique malgré le choc ukrainien, et d’une poursuite des hausses de leur prix de vente. Les salaires accélèrent aussi, s’approchant des +3% de hausse annuelle (graphique 4). Enfin, si la baisse récente du prix du gaz est bienvenue, le prix du pétrole Brent s’approche à nouveau des 120$ le baril. Pour toutes ces raisons, la BCE a annoncé qu’elle comptait accélérer la normalisation des taux d’intérêt, avec en ligne de mire des taux monétaires positifs d’ici la fin de l’été. Les marchés obligataires européens – et en particulier la partie courte de la courbe des taux – demeurent donc vulnérables.
Au total, la stabilisation de la tech et du marché obligataire US, ainsi que le positionnement devenu trop pessimiste des investisseurs, permettent au marché des actions de respirer un peu. Au cours des deux dernières semaines nous avons racheté les couvertures mises en place précédemment dans nos portefeuilles flexibles. Nous avons encore réduit notre exposition au dollar contre euro face au durcissement du message de la BCE. Nous restons pour l’instant en dehors des marchés obligataires, considérant que leur attractivité reste limitée par le bas niveau des anticipations d’inflation, la faiblesse des taux réels et la poursuite du resserrement monétaire. L’exposition aux actions internationales, enfin, restent bien diversifiée géographiquement. Cette diversification nous semble particulièrement pertinente dans un monde qui aura rarement connu des évolutions aussi contrastées et changeantes d’une région à l’autre.