Barometer: période de troubles

Détail d'un baromètre.

L’absence d’issue à l’invasion russe de l’Ukraine, la hausse des rendements obligataires et l’incertitude renouvelée au sujet de la Covid en Chine incitent à la prudence.

01. Allocation d’actifs: pas de dégel ce printemps

Alors que la guerre russo-ukrainienne entre dans son deuxième mois, les prévisions d’une croissance économique encore plus lente et d’une inflation plus élevée se renforcent. Compte tenu de la baisse du moral des consommateurs et de la volatilité persistante des prix de l’énergie, il est peu probable que l’expansion économique mondiale atteigne le rythme initialement espéré. Même si la croissance de nombreuses économies restera supérieure à la tendance, nous pensons que les risques pour les bénéfices des entreprises sont orientés à la baisse.

Dans ce contexte, nous rétrogradons les actions américaines à négatif. Comme ce marché est axé sur la croissance et affiche la valorisation la moins attrayante dans le monde, nous pensons que les actions américaines devraient supporter le plus gros de l’ajustement, les secteurs sensibles aux taux d’intérêt et aux cycles économiques étant particulièrement sous pression.

Cela dit, nous ne croyons pas qu’un positionnement totalement négatif sur les actions se justifie. Le moral des investisseurs remonte après avoir plongé à des niveaux très faibles, ce qui compense la dégradation des fondamentaux au moins à court terme. Nous restons donc neutres vis-à-vis des actions et des obligations.

Fig. 1 — Grille d’allocation d’actifs mensuelle
Avril 2022
Grille du baromètre d’avril 2022
Source: Pictet Asset Management

Dans notre analyse du cycle conjoncturel, nous abaissons notre prévision de croissance mondiale de 4,4% à 3,5% cette année. Nous nous attendons à voir les économies émergentes et la zone euro souffrir davantage que d’autres régions compte tenu de leur proximité avec le conflit ukrainien.

Notre prévision pour l’inflation mondiale cette année grimpe de 5,1% à 7%, même si nous tablons sur l’arrivée du pic des pressions sur les prix au cours des prochains mois. Cependant, l’économie mondiale a la capacité d’absorber le double choc de la hausse des prix du pétrole et du durcissement des politiques monétaires.

Aux États-Unis, l’intensité énergétique, qui mesure la quantité d’énergie nécessaire par unité de production ou d’activité, a fortement chuté depuis les années 1970, tandis que les ménages affichent toujours des bilans sains avec un taux de service de la dette inférieur de 4 points de pourcentage aux niveaux de 2008. La pandémie de Covid a permis de constituer d’autres amortisseurs, notamment l’excédent d’épargne, qui représente 10% du PIB.

Nous sommes plus pessimistes que le consensus au sujet de la zone euro, pour laquelle notre prévision de croissance en 2022 est passée de 4,1% à 3,2%. Nos indicateurs avancés s’enfoncent dans une zone annonciatrice de récession et se situent dorénavant à leur plus bas niveau depuis plus d’un an. Les indicateurs du moral des consommateurs s’effondrent rapidement, ce qui est de mauvais augure pour la consommation dans les mois à venir.

L’économie chinoise a connu une forte dynamique après sa reprise initiale post-pandémie au quatrième trimestre. Cependant, une nouvelle flambée des cas de Covid et un retour des mesures de confinement pourraient nuire aux perspectives de croissance à court terme de la deuxième économie mondiale et étouffer les premiers signes d’un redressement de l’activité dans le bâtiment.

Notre indicateur de liquidité continue de se dégrader en raison du resserrement opéré par les banques centrales aux États-Unis et au Royaume-Uni. Selon nous, la Réserve fédérale américaine a réalisé 40% du resserrement sur lequel nous tablons au cours de ce cycle et devrait arriver à 75% d’ici à la fin de l’année. Si les investisseurs devaient s’attendre à une seule chose, ce serait principalement un resserrement encore plus rapide, ce qui mettra l’économie sous pression. Les conditions d’accès aux liquidités s’améliorent en Chine, mais le rythme de l’assouplissement monétaire est plus lent que ce que suggèrent les discours de la banque centrale.

Au Japon, l’accès aux liquidités se durcit légèrement, la Banque du Japon poursuivant la suppression progressive de sa politique monétaire ultra-accommodante. Elle s’engage toutefois à défendre son plafonnement des rendements contre la vague mondiale de hausse des taux d’intérêt en proposant d’acheter des obligations d’État japonaises à 10 ans en quantités illimitées. Cette annonce provoque une forte correction du yen (voir Fig. 2).

AA

Source: Refinitiv. Données couvrant la période allant du 16.10.1989 au 28.03.2022.

Nos indicateurs de valorisation des obligations sont passés au vert après la récente vague de ventes des principales obligations d’État. Le crédit investment grade, qui est la classe d’actifs majeure la moins performante cette année, semble survendu et attractif par rapport aux obligations plus risquées.

Le score d’ensemble des actions reste négatif. Compte tenu de la dégradation des liquidités et de la hausse des rendements réels, une nouvelle baisse des multiples cours-bénéfices est possible. Pour les 12 prochains mois, nous prévoyons une contraction d’environ 5%, ce qui laisse entendre qu’en 2022, les actions pourraient enregistrer une performance totale atone par rapport à l’année précédente. Cela dit, des poches de valeur s’ouvrent dans la zone euro et les valeurs chinoises. Les actions américaines et technologiques restent peu attrayantes sur le plan de la valorisation.

Les indicateurs techniques soutiennent notre positionnement neutre vis-à-vis des actions. Le moral des investisseurs a nettement rebondi après avoir plongé à des niveaux particulièrement faibles, ce qui correspond à la chute de la volatilité implicite dans la classe d’actifs. Un recul de la volatilité implicite en dessous de son équivalente réalisée réduit le coût de la protection contre les futures corrections. Les investisseurs sont donc plus enclins à prendre davantage de risques.

02. Secteurs et régions des actions: les actions américaines sont vulnérables

Les actions américaines ont fait preuve d’une remarquable résilience face aux secousses économiques causées par le conflit en Ukraine. Après le choc initial provoqué par l’invasion russe, elles se sont redressées plus rapidement que la plupart des autres marchés actions développés, leurs performances dépassant celles de l’indice MSCI World de quelque 5 points de pourcentage ces trois dernières semaines. L’indice S&P 500 a terminé le mois en hausse de 5%, ramenant son recul depuis le début de l’année à quelque 6%.

Pourtant, ce rebond semble difficile à justifier sur plusieurs plans. Premièrement, les bénéfices des entreprises américaines ont peu de chances d’augmenter aussi fortement que ce que laissent entendre les prévisions du consensus. Les augmentations des salaires et des coûts des intrants vont réduire les marges bénéficiaires par rapport à leur record historique actuel de 13%. Les analystes commencent d’ailleurs déjà à réviser les bénéfices en ce sens. Nous avons réduit nos prévisions de croissance des bénéfices pour les entreprises américaines à 9%, contre 15% au début de l’année, légèrement en deçà des estimations du consensus pour la première fois de ce cycle.

Parallèlement, les multiples de résultat des actions américaines semblent également élevés. Si la Fed espère sérieusement freiner l’inflation, il est probable qu’elle accélère le rythme des hausses de taux d’intérêt. Dans ce cas, l’exposition relativement élevée du marché américain aux actions de croissance devient un facteur de vulnérabilité. En d’autres termes, les multiples de résultat des actions américaines pourraient se contracter plus fortement que sur la plupart des autres marchés, les États-Unis supportant ainsi la majeure partie de l’ajustement des actions mondiales à des taux d’intérêt en hausse. En outre, le fait que les actions américaines restent les plus onéreuses sur notre tableau de bord nous pousse à passer ces dernières de neutre à sous-pondérer.

nouvelles commandes et bénéfices des actions

Les valeurs du secteur immobilier, qui ont tendance à souffrir dès que les taux d’intérêt réels augmentent, semblent également exposées à une correction. Alors que les prix de l’immobilier sont restés favorables, d’autres indicateurs n’augurent rien de bon pour les perspectives à moyen terme du secteur. Aux États-Unis, les taux hypothécaires ont fortement augmenté et le remboursement hypothécaire moyen est passé de 1 000 dollars en janvier 2021 à 1 280 dollars un an plus tard. Si le secteur est toujours bon marché en termes relatifs, sa valorisation n’est pas aussi convaincante qu’auparavant. Parallèlement, les entreprises de l’immobilier affichent des estimations de croissance des bénéfices anémiques par rapport aux autres secteurs et les révisions à la baisse continuent. C’est pourquoi nous passons d’une surpondération du secteur à une position neutre.

Les investisseurs en actions peuvent tout de même trouver certains domaines intéressants. Le marché britannique est un de ceux-là. Comme elles mélangent des sociétés bon marché, défensives et axées sur les matières premières, les actions britanniques présentent des perspectives encourageantes; nous restons donc surpondérés. Nous pensons également que les actions chinoises offrent une valeur intéressante et notre exposition à ce marché est supérieure à l’indice de référence. Alors que les marchés actions chinois restent sensibles aux changements réglementaires opérés par Pékin et à un éventuel ralentissement de la croissance économique, le recul des valorisations a atteint un niveau qui semble pleinement prendre ces risques en compte. Les multiples de résultat des actions chinoises sont proches de leurs niveaux les plus élevés jamais atteints par rapport aux autres marchés mondiaux.

Lire la suite

Prev
BCE : pas d’urgence, mais la tendance reste au durcissement monétaire
Next
Le combat mené par les banques centrales contre l’inflation
+ Pour aller plus loin