Dans son Rendez-vous du Lundi, Thomas Giudici (Auris Gestion) revient sur la dynamique paradoxale des marchés, toujours en hausse malgré les signaux d’alerte. Les faillites de First Brands et Tricolor ont brièvement ébranlé la confiance dans le crédit privé américain, mais l’appétit pour le risque reste intact. Même constat en Europe, où la dette française bénéficie d’un répit après la décision de Moody’s et les ajustements techniques opérés par les grands ETF, bien que le risque politique français demeure sous-estimé.
Les inquiétudes sur le crédit privé aux États-Unis, suite aux faillites de First Brands et de Tricolor, n’ont pas fait long feu. Malgré la taille de ce marché (1 200 milliards de dollars rien qu’aux États-Unis) et la dégradation des émetteurs les plus fragiles, les investisseurs n’y voient pas (encore) un risque systémique. En Europe, le risque français paraît lui aussi contenu. Le sursis accordé par Moody’s, qui n’a pas dégradé la notation française mais s’est contentée d’une perspective négative, la modification des critères d’éligibilité de certains grands ETF afin d’éviter d’être vendeurs forcés de dette française, et la possible intervention du TPI de la BCE limitent pour l’instant un écartement trop marqué du spread OATBund. Cependant, il nous semble que le risque d’une nouvelle dissolution reste encore assez peu intégré par le marché et que des épisodes de volatilité sur les actifs français sont encore à prévoir, et ce, d’autant plus que les discussions en cours sur le budget ne pointent pas vers une réduction du déficit, loin de là.
La suite, ou non, du mouvement haussier pourrait bien se jouer cette semaine. Cinq des plus grandes entreprises mondiales, Meta, Microsoft, Alphabet, Amazon et Apple, publieront leurs résultats trimestriels, soit près d’un quart de la capitalisation du S&P 500. Toute déception par rapport aux attentes du consensus serait logiquement lourdement sanctionnée, même si, au vu des investissements massifs engagés autour de la thématique IA, nul doute que les résultats seront en ligne. D’autant que le marché, pour l’instant, se préoccupe assez peu de la génération de cash-flow de ces géants. Sans que cela ne signe nécessairement une bulle, les montants investis dans des « deals circulaires » où les géants de la tech financent des startups liées à l’IA en échange de l’utilisation ou de l’achat de leurs services (souvent avec leur propre argent) créent des dépendances mutuelles et entretiennent une illusion de demande. Le risque, en cas de ralentissement du secteur, serait double : voir à la fois les revenus de ces entreprises reculer et la valeur de leurs participations dans leurs « partenaires-clients » dévalorisée.
Nous aurons également cette semaine la réunion de politique monétaire de la Fed, au cours de laquelle une nouvelle baisse des taux directeurs est largement attendue. Compte tenu du shutdown en cours, le FOMC avance à vue et dispose de peu de données récentes pour étayer sa décision depuis sa dernière réunion de septembre. L’inflation de septembre (l’une des rares statistiques publiées malgré le blocage, en raison de son importance) est ressortie avec près de dix jours de retard et légèrement en dessous des attentes. Une bonne nouvelle pour les marchés, même si elle demeure encore bien au-dessus de l’objectif officiel, à 3 % aussi bien pour l’inflation globale que core. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la qualité des données dans le calcul de l’inflation s’est progressivement détériorée ces derniers mois : la part des estimations, au détriment des mesures réellement observées, ne cessant d’augmenter (cf. graphique de la semaine). Dans ce contexte, Jerome Powell devrait donc probablement réitérer son message du mois dernier, soulignant que la banque centrale ne suit pas de trajectoire « préétablie » et qu’elle demeure dans une logique de gestion des risques. Toujours est-il que tant que les prévisions de croissance de l’économie américaine tiennent et que le marché de l’emploi ne rompt pas, les baisses de taux continueront d’être perçues favorablement par les investisseurs.
Enfin, la semaine devrait également être marquée par la rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping, la première depuis le début de la guerre commerciale, à la suite de l’annonce d’un accord-cadre préliminaire ce week-end par Scott Bessent. S’il paraît peu probable qu’un accord formel soit signé jeudi, cette rencontre illustre au moins la volonté des deux premières puissances mondiales d’éviter une nouvelle escalade. Même si, avec Donald Trump, tout reste possible.
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