Le récent débat sur la classification des fonds ESG[1], selon les normes SFDR[2], a révélé une controverse majeure. Le séminaire organisé par la Commission Européenne le 10 octobre 2023 a montré que bon nombre d’experts et d’acteurs du secteur pensent que cette communication SFDR pourrait encourager le greenwashing plutôt que de promouvoir une réelle transparence. Cette préoccupation semble partagée également par des figures emblématiques comme la présidente de l’Esma[3] et le Directeur des Marchés Financiers de la FISMA.
La mission de ces régulations est d’aider à financer la transition écologique en particulier en évitant tout greenwashing. Pourtant, certains mécanismes appliqués aujourd’hui dans la finance durable semblent contrecarrer ces ambitions. Pour éclairer ce sujet, je m’appuie sur des recherches, notamment celle des professeurs de l’Edhec, G. Parise et M. Rubin, qui ont démontré la pratique généralisée du “Green Window Dressing” (lire l’étude).
Certains gérants pourraient embellir artificiellement leur portefeuille juste avant chaque inventaire trimestriel « officiel », pour le rendre plus “vert”.
Ce serait déjà une réalité pour beaucoup de fonds ESG aux États-Unis. L’étude citée plus haut a révélé une manipulation à grande échelle entre 2016 et 2021 des inventaires de ces fonds pour qu’ils paraissent plus engagés. Le stratagème? Vendre des actions à faible score ESG juste avant la fin du trimestre et les racheter juste après. Les différences entre les positions avant et après l’inventaire publié sont flagrantes. De plus, ces fonds performent mieux que leurs homologues sincèrement engagés dans l’ESG car ils ont moins de contraintes! Enfin, ils collectent beaucoup plus de capitaux que leurs concurrents plus « éthiques ».
Il y a de quoi être préoccupé en Europe également, car les indicateurs de durabilité fonctionnent de la même manière qu’aux États-Unis. Prenons un exemple : un gérant qui anticipe une montée des cours du pétrole pourrait temporairement investir dans les énergies fossiles, pour ensuite revenir à un portefeuille plus vert juste avant l’évaluation. Le résultat? Un faible score d’émissions PAI malgré une stratégie d’investissement très carbonée.
Et si je vous disais qu’il y a plus? Dans le système des PAI, étonnamment, l’empreinte carbone d’une action augmente avec la hausse de son cours (!) ce qui pénalise les titres ESG. J’en parlerai dans un autre article.
La finance durable mérite mieux que ces indicateurs inadaptés voire très contreproductifs. Il est temps de repenser les KPI de durabilité comme les PAI pour qu’ils reflètent réellement l’impact ESG des investissements.
Par exemple, l’empreinte carbone d’un fonds devrait être aussi fiable que sa Valeur Nette Liquidative (NAV) quotidienne. Des pistes existent, elles méritent d’être expérimentées au plus vite.