Conjoncture – Inflation en zone euro – L’accélération se généralise

L’ACCÉLÉRATION DE L’INFLATION EUROPÉENNE A CONSTITUÉ UNE VÉRITABLE SURPRISE

L’Europe fait face depuis le printemps 2021 à une forte accélération de l’inflation. Celle-ci a été jugée tout d’abord « transitoire » et due à la conjonction de plusieurs facteurs : effets de base liés à la crise Covid et à des baisses temporaires de TVA, à la réouverture de l’économie avec de fortes hausses de prix dans les secteurs de l’énergie et des services où la demande repartait après une année 2020 atone. Cependant, le mouvement s’est avéré beaucoup plus fort en ampleur et en durée que ce qui était anticipé. L’ampleur et la rapidité des révisions des prévisions d’inflation pour l’année 2022 est ainsi sans précédent. La guerre en Ukraine et l’intensification des perturbations des chaînes d’approvisionnement avec les confinements en Chine jouent actuellement un rôle amplificateur d’une tendance déjà clairement établie.

Au final, l’inflation totale a atteint 7,4 % en avril 2022 et l’inflation hors alimentation et énergie 3,5 %. L’inflation est même supérieure à 10 % dans cinq pays de la zone euro. Les prévisions d’inflation de la BCE ont été revues très fortement à la hausse. Cela contraste très nettement avec la décennie 2010 (moyenne d’inflation de 1,35 %), où l’inflation trop basse avait poussé la BCE à adopter des mesures ultra-accommodantes.

AU DÉPART, UNE CRISE ÉNERGÉTIQUE… QUI DURE

L’Europe, zone très importatrice de gaz naturel, a subi une forte baisse des livraisons de gaz russe à partir de l’été 2021. En parallèle, la diminution de production d’électricité à partir des centrales à charbon (fermetures), de l’éolien (moins de vent) et du nucléaire (réacteurs à l’arrêt) ont induit un report de la demande énergétique sur le gaz naturel et une hausse des cours. Les règles de fixation des prix de l’électricité en Europe prennent pour référence les prix de gros sur les marchés du gaz. La flambée des prix du gaz s’est donc accompagnée d’une forte hausse des prix de l’électricité.

La guerre en Ukraine est ensuite venue amplifier les tensions sur les prix du pétrole et du gaz. Les ménages ont donc subi une hausse des prix des carburants mais également des hausses de tarifs du gaz et de l’électricité dont les poids comptent respectivement pour 4 %, 2 % et 3 % de l’indice des prix à la consommation[1].

Si au niveau de la zone euro dans son ensemble, nous observons un début de ralentissement des prix de l’énergie à compter d’avril (+38,0 % sur un an en avril après +44,4 % en mars), cela ne marque pas encore une tendance claire et n’est pas encore observable dans tous les pays de la zone.

UNE HAUSSE DES PRIX PLUS GÉNÉRALISÉE QU’INITIALEMENT ENVISAGÉ

Comme l’évoquait Christine Lagarde dans un discours le 11 mai1, toutes les mesures d’inflation sous-jacente[2], y compris celles qui capturent les éléments persistants sont désormais au-dessus de 2 %. Les différentes mesures d’anticipations d’inflation également. De son côté, Isabel Schnabel2 insiste sur le fait que les mesures d’inflation écrêtées (qui excluent du panier de consommation les composantes dont les prix ont le plus augmenté et ceux dont le prix a le plus baissé) sont très proches entre les États-Unis et la zone euro (bien plus que les inflations sous-jacentes). Cela suggère que les pressions sous-jacentes sur les prix accélèrent à un rythme assez similaire en zone euro et aux États- Unis. Aux États-Unis, l’inflation est tirée par un nombre restreint de composantes (logement, voitures d’occasion par exemple) tandis qu’en zone euro, la hausse apparait désormais comme plus généralisée. Si l’on regarde les soixante-treize composantes de l’inflation sous-jacente de la zone euro, soixante étaient en accélération sur trois mois en avril 2022.

Les prix des biens industriels hors énergie étaient en hausse de 3,8 % en glissement annuel en avril. Les hausses atteignent 7 % pour les véhicules ou 6,5 % pour les meubles et articles d’ameublement. Les enquêtes de conjoncture montrent que les industriels sont de plus en plus enclins à répercuter les hausses de coûts dans leurs prix de vente. On sent donc bien ici, comme aux États-Unis, que les tensions sur les chaînes d’approvisionnement donnent naissance à des tensions inflationnistes.

Côté services, la hausse des prix s’établit à 3,3 % sur un an en avril, tirée par les cafés-restaurants (+4,6 % sur un an en avril) et les hébergements (+11,3 %) marquant les effets de la réouverture de certains pans de l’économie post mesures sanitaires. Ici, comme aux États-Unis, on sent que les problèmes de main d’oeuvre rencontrés par le secteur de l’hôtellerie/restauration lors de la crise Covid ont eu un impact fort sur les prix.

QUELLES PERSPECTIVES POUR L’INFLATION ?

Le pic de l’inflation est attendu à l’automne 2022 une fois que les hausses de prix sur les marchés de gros de l’électricité et du gaz auront été répercutées dans les prix facturés aux particuliers. Cependant, la hausse de l’inflation parait désormais plus généralisée et des incertitudes planent sur l’évolution des prix alimentaires, du pétrole et sur les hausses de salaires qui seront observées en Europe sur la seconde moitié de l’année. Celles-ci seront importantes pour évaluer si une boucle prix-salaires se met en place.

La guerre en Ukraine et les sanctions ont conduit à la fois à une hausse des prix de l’énergie et d’autres produits dont la Russie et la Biélorussie sont des producteurs importants comme les engrais et les matières premières agricoles, céréales ou huiles végétales … Les prix alimentaires progressent déjà à un rythme très soutenu, +6,4 % sur un an en avril et même de 9,2 % pour l’alimentation non transformée. Mais la hausse des matières premières agricoles n’a pas fini de se répercuter dans les prix à la consommation. En effet, si l’on prend l’exemple de la France, les industriels de l’alimentaire réclament de nouvelles hausses de prix aux distributeurs alors que des négociations ont déjà eu lieu en début d’année.

LA BCE AMBITIONNE DE REDEVENIR UNE BANQUE CENTRALE « NORMALE »

La généralisation de la hausse des prix en zone euro que nous venons d’exposer couplée à la forte hausse des anticipations d’inflation fait que la BCE envisage désormais de redevenir une banque centrale « normale ». L’un des narratifs au coeur de l’ajustement de la communication de la BCE a été le fait que la zone euro ait vraisemblablement quitté le régime d’inflation basse (« lowflation[3] ») qu’elle a connu durant la décennie 2010. Le (très dovish[4]) chef économiste de la BCE, Philip Lane a ainsi indiqué le 5 mai qu’il était « peu vraisemblable que la zone euro revienne à la tendance d’inflation en dessous de la cible des 2% de façon persistante qui était si ancrée avant la pandémie » et même qu’il était nécessaire de « surveiller de près » un éventuel désancrage des anticipations d’inflation. Le gouverneur de la Banque de France avait tenu des propos similaires à plusieurs reprises sur les semaines précédentes. Isabel Schnabel formule les choses ainsi : « Comme les risques augmentent que l’inflation élevée actuelle devienne ancrée dans les attentes, l’urgence pour la politique monétaire d’agir pour protéger la stabilité des prix s’est accrue ces dernières semaines. »

Termes et définitions
1. indice des prix à la consommation. L’indice des prix à la consommation (IPC) est un indicateur économique qui mesure l’évolution des prix des biens…
2. Inflation sous jacente ( inflation sous-jacente ) L’inflation sous-jacente, également connue sous le nom d’inflation core ou d’inflation de base, est une mesure de l’inflation…
3. lowflation. La “lowflation” est un terme qui combine les mots “low” (faible) et “inflation”. Il est utilisé pour décrire…
4. dovish. Dovish (en opposition à Hawkish) est un terme utilisé pour décrire une politique monétaire qui est plus accommodante et qui soutient une expansion économique plus rapide.
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