Le début d’année a été compliqué. La guerre en Ukraine a engendré une envolée des matières premières alors que les mesures de restriction de circulation en Chine pèsent à nouveau sur les chaînes logistiques : résultat, plus d’inflation et moins de croissance.
Les Banques Centrales, en fait surtout la Réserve fédérale américaine, ont agi rapidement. Les anticipations d’inflation à long terme semblent donc se calmer, alors que le risque de ralentissement économique s’accroît.
Comment investir dans ce contexte ?
La remontée des taux obligataires est spectaculaire, en rapidité et en ampleur, mais ce n’est pas inhabituel : les mouvements sur les taux d’intérêt sont souvent brusques. Le cheminement des taux obligataires américains au cours de ces derniers mois en est une bonne illustration. Depuis que la Réserve fédérale américaine a durci le ton vis-à-vis de l’inflation et préparé le marché à plusieurs hausses des taux directeurs cette année, le rendement du T-Notes 10 ans est passé de 1,55% en janvier à presque 3,00% aujourd’hui. Rappelons qu’il se situait à 0,50% mi-2020.
Ce mouvement rapide et impressionnant pourrait cependant être proche de son terme : la Fed a agi rapidement pour éviter que les marchés ne s’affolent face à la remontée rapide de l’inflation. Elle semble avoir réussi car les anticipations de l’inflation à long terme inscrite dans le cours des obligations indexées se sont stabilisées, à près de 3%. Dans le même temps, les anticipations des Fed Funds pour la fin de cycle de durcissement monétaire s’établissent également autour de 3%. Dans ces conditions, il n’y a plus tellement de raisons pour que la tension des taux longs américains se poursuive à court terme. Certes, l’inflation peut continuer à être très élevée dans les prochains mois – qui seront marqués par la hausse des matières premières liée à la guerre en Ukraine et à de nouveaux goulets d’étranglement dus aux restrictions de circulation en Chine en raison de l’application d’une politique stricte « zéro Covid ». Mais à moyen terme, les effets de base de la hausse des prix de l’énergie devraient s’estomper et, surtout, il y a quelques risques de ralentissement de l’économie au cours des prochains mois. Notons au passage que la Fed, en agissant très vite, a semble-t-il réussi à rassurer les marchés sur l’inflation tout en se donnant des marges de manœuvre pour pouvoir baisser de nouveau les taux directeurs si besoin en cas de ralentissement trop marqué.
Les estimations de croissance mondiale sont ainsi orientées à la baisse. D’après le dernier consensus des économistes recensé par Bloomberg, la croissance mondiale a été amputée de près de 1,0% depuis décembre dernier, passant de 4,4% à 3,5%. C’est le renchérissement des prix de l’énergie et de l’alimentation qui explique principalement ce mouvement de révisions à la baisse. Rappelons que toute augmentation de 10 dollars du prix du baril engendre un impact négatif de l’ordre de 0,2% de croissance selon les principaux modèles. De ce point de vue, c’est la zone Euro qui paraît la plus vulnérable, surtout dans l’environnement actuel du fait de sa plus grande dépendance à la Russie. La croissance 2022 y est désormais attendue à 2,9% contre 4,2% en début d’année. Les États-Unis semblent plus résilients avec 3,3% anticipé contre 3,9% initialement.
Il semble que ces mouvements de révisions ne font que commencer. En effet, quelques indicateurs qui traquent l’économie en temps réel sont assez inquiétants : l’activité de transport de marchandises par camion aux États-Unis illustre un fort ralentissement et une hausse des stocks dans les biens de consommation durables, comme les meubles ou les biens électroniques. Les consommateurs, surtout les moins aisés, semblent être affectés par la hausse des prix de l’essence et de l’alimentation. D’après le « Bank of America Research Institute », les dépenses « à crédit » ont progressé de 15% sur un an, et particulièrement en ce qui concerne les ménages qui gagnent moins de 50 000 USD par an. La hausse est de 33% par rapport aux niveaux de pré-pandémie. Par ailleurs, si l’effet richesse est au plus haut depuis 2006, les ménages les plus aisés pourraient être affectés par un recul des prix de l’immobilier alors que les taux remontent.
Mais l’incertitude majeure se situe en Chine. Le pays s’est donné un objectif de croissance ambitieux entre 5,0 et 5,5%. Cet objectif paraît impossible à atteindre dans le contexte actuel de diffusion du virus Omicron, qui oblige à procéder à de nombreuses mesures de restrictions dans plusieurs grandes villes. Nous estimons que 23 villes, totalisant une population de près de 190 millions d’habitants, sont touchées par des mesures de confinement. Des cas locaux d’infection ont déjà été détectés dans 30 des 31 provinces depuis le début du mois de mars, ce qui a entraîné des restrictions de circulation entre régions. Des mesures sont donc attendues et pressenties dans plusieurs domaines : baisse d’impôts, baisse des taux, programmes d’investissements en infrastructures « vertes », réaffectation des programmes immobiliers des promoteurs en faillite vers des acteurs solvables pilotés par les gouvernements locaux… Par ailleurs, en ce qui concerne la situation épidémique, nous notons un certain changement de langage dans la politique sanitaire qui pourrait annoncer une politique plus pragmatique vu que les nouvelles souches sont moins dangereuses. Nous sommes désormais passés au terme « gestion dynamique du zéro Covid » et cela pourrait encore évoluer. Les prochaines formes du virus ne seront peut-être plus nommées « Covid » si bien que la guerre contre la Covid aura été gagnée… En résumé, les principaux instituts de conjoncture ont révisé à la baisse les estimations de croissance en Chine, comme le FMI à 4,4%. Mais il convient de ne pas négliger la capacité d’intervention de la puissance publique du pays et sa capacité à atteindre ses objectifs.
Ce qui étonne dans ce contexte, c’est la stabilité des prévisions de bénéfices des entreprises. En dépit de ce contexte compliqué, ils n’ont pas été revus à la baisse et s’établissent en progression de 8 à 9% aux États-Unis et en zone Euro. Jusqu’à présent, les entreprises ne semblent pas avoir remis en cause leurs perspectives plutôt positives et leurs programmes d’investissement. De ce fait, soit les analystes avaient commencé l’année en sous-estimant la capacité des entreprises à faire des profits et n’ont pas eu besoin de réajuster à la baisse avec les risques survenus entre temps, soit les mouvements de révisions à la baisse vont commencer au cours des prochaines semaines, après la période de publications. Il est vrai que la hausse des prix des intrants et des pressions sur les salaires devrait peser sur les marges. Il s’agit d’un point majeur à suivre au cours des prochaines semaines.
En synthèse, il est clair que l’environnement n’incite pas à la prise de risque et la visibilité est somme toute encore assez faible. Les inquiétudes sur l’inflation pourraient se dissiper au profit des doutes sur la croissance, ce qui peut engendrer une stabilisation, voire une détente, des taux obligataires. Dans ce contexte, les actions pourraient évoluer de façon erratique dans un premier temps, jusqu’à avoir une vue assez fiable sur les bénéfices futurs.