Éco du matin : Faites vos jeux !

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  • Le déroulé de la crise ukrainienne atteint un moment critique. On va vite savoir si les propositions occidentales (avant tout l’abandon de l’ambition d’une adhésion dans un avenir pas trop éloigné de l’Ukraine à l’OTAN) apaisent les inclinaisons belliqueuses du pouvoir russe. Le marché y croit ; sans doute avec raison. Mais sur la carte du monde, les positions des Etats-Unis et de l’Europe ne sortiront pas renforcées de cette expérience.
  • Les investisseurs et les opérateurs vont regarder ailleurs. Et les questions de politique économique de reprendre toute la place sur le devant de la scène. Il y a bien sûr la politique monétaire. On en a déjà beaucoup parlé. Faisons l’impasse aujourd’hui. Intéressons-nous plutôt à la nouvelle Supply Side Economics. En termes de perspectives économiques, il y a des éléments de réflexions à retirer.

La crise ukrainienne reste en toile de fond des évolutions des marchés de capitaux. On aurait dû savoir que la semaine en cours serait nerveusement compliquée : quid des prochains jours ? Les Jeux olympiques d’hiver à Pékin et les manœuvres militaires conjointes des armées de Biélorusse et de Russie, tenues dans ce premier pays, finissent ou doivent finir durant le week-end qui vient. Moscou, pourrait-il, dorénavant sans gêner la construction d’une image positive urbi et orbi du pouvoir chinois, profiter de l’opportunité de cette concentration de troupes à une distance pas trop éloignée du territoire ukrainien pour se lancer dans une invasion de son voisin, tenté par un rapprochement trop étroit avec l’Ouest ? À ce titre, l’incertitude politique s’élève, ce qui peut participer de davantage de volatilité sur les marchés. La séance de lundi a illustré un tel enchaînement.

L'indice d'incertitude politique aux Etats-Unis se positionne à un niveau élevé

Etats-Unis : la montée de l'incertitude politique peut participer de plus de volatilité sur les marchés

Voilà pour la genèse des craintes. Celles-ci sont évidemment gérées par les responsables politiques ; instrumentaliser pourrait-on dire. Sur la période la plus récente, la Russie a choisi de détendre l’atmosphère, avec un Président Poutine suivant ses ministres dans les propositions de donner plus de temps à la négociation avec les Occidentaux et de commencer à retirer une partie des troupes présentes en Biélorussie. Dans le camp opposé, une certaine « polyphonie » est présente : dramatisation chez les Américains, avec la répétition du message qu’une invasion est possible à tout moment et volonté de conciliation, mais sans transiger sur les principes, chez les pays-membres de l’UE, au moins les plus importants d’entre eux.

Que va-t-il se passer maintenant ? J’ai envie de dire plusieurs choses.

  • Sans doute, aucune des parties n’a envie de rester trop longtemps dans cette ambiance de « drôle de guerre » ; les Russes, qui sont plus à l’initiative que les autres parties-prenantes, le répètent souvent pour ce qui concerne la relation avec l’Occident. Concernant celle avec l’Ukraine, c’est beaucoup moins clair.
  • On a compris depuis déjà un certain temps (on en a parlé ici) les objectifs de Moscou : pas de menace dans le voisinage immédiat de la Russie et empêcher une contamination chez soi des aspirations « libérales » d’un pays-frère (l’Ukraine). Aux yeux du Kremlin, l’Occident sort affaibli de cette séquence et devrait transiger. L’idée, que l’Ukraine puisse dans un avenir pas trop éloigné rejoindre l’OTAN, serait écartée. Le Chancelier allemand Scholz et le Président ukrainien Zelenskiy ne l’ont-ils pas d’ailleurs reconnu avant-hier au cours de leur rencontre à Kiev ?
  • Les Américains peuvent-ils se contenter de cette sortie dont la forme ressemblerait à un « conflit gelé » ? Ce n’est pas très glorieux ; mais que faire d’autre, si la perspective d’une intervention armée est écartée ?
  • Le déroulé proposé est plutôt logique. Faut-il pour autant y adhérer totalement ? Sans doute pas. L’image à retenir est celle du bois trop sec (la « drôle de guerre ») qu’une étincelle (une provocation ou plus simplement une incompréhension) embraserait.

La traduction en termes de comportement des professionnels de marché est la confrontation à l’incertitude et pas aux risques. Quand celle-là aura suffisamment baissé (ce qui pourrait venir assez vite concernant les relations entre l’Occident et la Russie), investisseurs et opérateurs regarderont ailleurs. Mais attention, le propre des « conflits gelés » est de se réinviter sur le devant de la scène. Les Ukrainiens seront probablement les premiers concernés. Le reste du monde pourrait ne pas être en mesure de s’y désintéresser.

Sous l’hypothèse que le dossier ukrainien évolue bien dans le sens de la détente, les marchés regarderont ailleurs. Et le débat de politique économique américaine de très probablement se repositionner « en majesté » sur le devant de la scène.

La vision de la communauté financière paraît être la suivante.

  • Un réglage excessivement accommodant durant la crise épidémique, avec un soutien budgétaire de près de 6 points de PIB (chiffre OCDE), un déficit creusé de près de 10 points de PIB et un bilan de la banque centrale qui a doublé (de 19% à 38% du PIB).
  • Dans le sillage de ces initiatives calibrées de façon trop généreuse, qui plus est dans un contexte de lutte plutôt réussie contre la COVID, la croissance économique s’est positionnée au-delà de son potentiel.
  • Dans ces conditions, comment s’étonner de l’accélération des prix et comment ne pas craindre que les anticipations inflationnistes deviennent moins bien ancrées ?
  • Il faut donc durcir la politique économique ; CQFD.

Tout n’est pas « parole d’évangile » dans ce diagnostic ; qu’il s’agisse de l’excès de croissance (il est sans doute supportable) et sa relation avec l’accélération des prix (celle-ci s’explique pour beaucoup par des chaines de production toujours convalescentes au niveau mondial). Il n’en demeure pas moins que lancer la normalisation de la politique monétaire fait sens. La question ouverte est davantage celle du rythme du processus à engager. On en a beaucoup parlé. Je n’y reviens pas.

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Le point sur la politique budgétaire est probablement à investiguer plus à fond. Appeler de ses vœux un retour à des comptes publics mieux équilibrés est assez consensuel. L’approche est de nature « gestion du cycle » : après le soutien, la normalisation. Il n’empêche que le point essentiel en regardant devant est ailleurs : comment assurer que les politiques publiques (avec au centre la politique budgétaire) participent des transformations de l’économie, à la fois nécessaires et pour lesquelles le personnel politique a reçu mandat de la part des citoyens ? L’échec (pas encore entièrement consommé, mais très probable) du plan de relance Build back better de l’Administration Biden ne clôt pas le débat.

La crise de la COVID est passée par là et est une sorte de catalyseur pour penser et agir différemment : une autre relation avec la nature, des rapports sociaux plus inclusifs et une attention plus marquée aux « misères du monde ». Une récente intervention de Janet Yellen, actuelle secrétaire au Trésor, dans le cadre du World Economic Forum, tenu en distanciel, apporte un éclairage intéressant. L’ambition n’est pas tant de construire une politique sociale « à l’européenne » et de lutter contre le réchauffement climatique que de repenser la « supply side economics ».

Voilà qui devrait intéresser les gens de marché ! le souvenir laissé par la version précédente (appelons-la Thatcher – Reagan) est cher à leurs cœurs. Janet yellen ne s’interdit cependant pas d’y porter un petit « coup de griffe ». Le diagnostic que le marché était le problème et le marché la solution doit être questionné. La dérégulation et la baisse des impôts, dans le but de promouvoir l’accumulation de capital privé, n’ont pas vraiment permis de créer les conditions de davantage de croissance économique, qui plus est soutenable et aux fruits équitablement répartis. S’assurer d’une croissance « saine », c’est-à-dire « verte » et inclusive, est aujourd’hui une nécessité. Sachant qu’évidemment une fiscalité et une régulation, bien dessinées, ont toute leur place.

Il faut donc simplement faire autrement. Janet Yellen insiste sur l’offre de travail (comprendre augmenter le taux d’occupation, l’entretien et l’amélioration du capital humain (comprendre la formation, sans doute tout au long de la vie) et le couple formé par la R&D et l’investissement (public et privé). C’est ainsi que la productivité pourra être rehaussée et qu’un usage plus économe des ressources sera possible. Il faut aussi faire en sorte que la charge fiscale soit efficacement et équitablement répartie. Abolir le plus possible la concurrence fiscale est une nécessité. C’est ainsi que la pression pesant sur les ménages appartenant aux classes moyennes pourra être allégée.

Un tel programme est-il en contradiction avec la nécessité, justement pointée par les marchés financiers, de remettre de l’ordre dans les comptes publics ? Pas forcément, mais les trois dimensions, que sont la trajectoire menant au rééquilibrage, le mix de dépenses à mettre en place et les efforts contributifs relatifs des parties prenantes, doivent être précisées. Dans l’idéal, tout le monde doit gagner, mais certains plus que d’autres ; faites vos jeux !

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