Dans sa dernière analyse, Pierre Pincemaille (DNCA Finance) revient sur le 16e shutdown américain depuis 1981, symptôme d’un clivage politique extrême à Washington. Ce nouvel épisode de paralysie budgétaire, provoqué par le blocage sur la prolongation de crédits d’impôt santé, intervient alors que le marché du travail montre des signes de faiblesse et que la Réserve fédérale doit composer sans données économiques fiables.
Et de 16 en 45 ans ! C’est en effet la seizième itération de shutdown depuis 1981. Comme le montre cette statistique, la situation de paralysie budgétaire de l’Etat fédéral n’a rien d’exceptionnel et le blocage porte dans le cas présent sur le prolongement de crédits d’impôts liés à l’assurance maladie. Mais le clivage politique extrême qui touche les États-Unis rend les négociations plus compliquées pour trouver un compromis (nécessité d’une majorité de 60 voix au Senat). La configuration actuelle revêt donc un caractère particulier, dans la mesure où il intervient à un moment où le marché du travail, base du revenu des ménages et donc de la consommation, donne des signes d’affaiblissement.
Dans les faits, environ 750 000 fonctionnaires devraient être mis au chômage technique selon le CBO*, en raison de la fermeture des services dits non essentiels. On compte parmi eux le BLS** qui collecte et publie les chiffres du rapport emploi mensuel. En l’absence de publication début octobre, les investisseurs ont dû se rabattre sur des enquêtes alternatives pour juger du ralentissement du marché du travail. Le décalage de publication des données « en dures » (par opposition aux enquêtes de sentiment) rend la tâche de la Fed encore plus complexe. En revanche, l’attitude opportuniste de l’administration fédérale reste inchangée, celle-ci menaçant de licencier des milliers de fonctionnaires pour faire retomber sur le dos des démocrates les conséquences de cette paralysie institutionnelle.
Sans surprise, ce énième blocage a fait monter le taux de cortisol des investisseurs et par voie de conséquence celui du cours de l’or. Le métal jaune qui faisait déjà la course en tête des meilleures performances avant le blocage a bénéficié de cette incertitude supplémentaire pour franchir pour la première fois la barre symbolique des 4000$ l’once. Le métal ductile bénéficiant d’autre part d’une réaccélération de la demande de la part des banques centrales, notamment chinoise, après la pause estivale. Résultat : la banque Goldman Sachs a mis à jour ses prévisions et s’attend maintenant à un cours de 4900$ à horizon décembre 2026.
Si l’on passe de la macro à la microéconomie, il semble qu’un autre risque de shutdown pèse, mais cette fois sur les publications de résultats trimestriels des sociétés américaines. En effet, dans une logique de dérégulation, l’administration américaine souhaite alléger les contraintes de communication financière des entreprises, pour qu’elles se consacrent à leurs objectifs de long terme. À ce titre, la comparaison avec l’Europe où la publication trimestrielle n’est pas obligatoire est pertinente : environ 50% des entreprises publient de manière trimestrielle et l’autre moitié de manière semestrielle, cette répartition étant assez stable depuis dix ans. La banque Goldman Sachs, encore elle, a étudié le comportement des deux ensembles et n’a pas trouvé de corrélation entre fréquence de publication et décision d’allocation des flux de trésorerie entre investissement, dividendes, réduction de la dette et rachat d’actions.
Sur ce dernier point, les sociétés américaines ont annoncé cette année des montants records de rachat, grâce à la résilience des bénéfices : environ 950 milliards de dollars à comparer à 644 milliards de dollars en moyenne lors des trois dernières années, soit 40% du résultat opérationnel consolidé des sociétés composant le S&P500. Au niveau sectoriel, la technologie et les financières représentent plus de 60% des montants totaux. En Europe, ou les bénéfices stagnent cette année, le volume de rachat d’actions plafonne depuis plusieurs trimestres et ne représente que 15% des résultats opérationnels (avec 1/3 des volumes émanant du secteur financier).
Historiquement, une grande partie de l’impact économique d’un shutdown*** a été rattrapée après la fin de celui-ci. Dans ces conditions, est-ce que l’évènement actuel peut être le déclencheur d’une consolidation des marchés actions alors même que ces derniers ont défié la saisonnalité historiquement peu favorable de septembre ? L’étude des événements de blocage budgétaire passé ne montrent pas de comportement caractéristique permettant d’éclairer les investisseurs. Et avec le site de paris en ligne Polymarket (mettre lien hypertext https://polymarket.com/event/when-will-the-government-shutdown-end-545) présentant une probabilité de 50% que le shutdonwn dure au-delà du 12 novembre, les investisseurs se tournent légitimement vers les publications de résultats trimestriels.
A ce titre, la saison qui vient de débuter devra valider les perspectives de croissance, notamment américaines (+6% attendu par le consensus sur le trimestre et 11,5% pour l’année), et sera aussi l’occasion pour les directions d’entreprises d’aborder les perspectives 2026 alors que les investisseurs s’attendent à une nouvelle année de croissance significative des bénéfices par action des deux côtés de l’atlantique (+12,3% en Europe et +13,9% aux Etats-Unis). Profitons donc des enseignements de cette saison de publications trimestrielles, ce sera peut-être une des dernières aux Etats-Unis…
*Congressional Budget Office;
**Bureau of Labor Statistcs ;
*** Selon Brookings, chaque semaine de shutdown coûte 0,1 point en pourcentage de croissance annualisée du PIB.
Texte achevé de rédiger le 31 octobre 2025 par Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion.
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