- La BCE a été encore plus dure qu’anticipé hier en annonçant que le début de la normalisation de sa politique monétaire se fera à marche forcée dans les prochains mois car elle craint que l’inflation ne reste très au-dessus de la cible de 2% pour un long moment. De plus, elle n’a pas vraiment présenté de solution pour limiter les risques de fragmentation financière (i.e. d’écartement des spreads souverains) même si elle se dit prête à agir en cas de besoin.
- Les marchés ont mal réagi. Le renforcement des anticipations de hausses de taux directeurs ont poussé les taux d’intérêts vers le haut, le taux 10 ans allemand dépassant 1,4% pour la première fois depuis 2014. Les dettes des pays périphériques ont souffert, avec un écart de rendement entre l’Italie et l’Allemagne dépassant les 215pb pour la première fois depuis le début du Covid. Les actions européennes ont perdu 1,7% hier. Et la baisse des actifs risqués a poussé l’Euro à la baisse malgré la hausse des taux d’intérêts.
- Après la fin des achats nets d’actifs le 1er juillet, la BCE va monter ses taux pour la première fois depuis 10 ans en juillet, de 25pb, avant une deuxième hausse de taux dès septembre qui sera probablement de 50pb. Nous prévoyons désormais deux hausses de 25pb supplémentaires au cours du 4ème trimestre de telle sorte que le taux de la BCE atteindrait 0,75% à la fin de l’année. Le marché anticipe même une BCE plus agressive avec un taux directeur qui atteindrait 0,85pb à la fin de l’année et près de 2% fin 2023.
- La bonne nouvelle est que le marché intègre déjà une BCE agressive, ce qui limite le potentiel de nouvelle baisse du prix des actifs. Mais le BCE ne devrait pas adopter un discours plus accommodant d’ici la fin de l’année, car son attitude est guidée par les craintes sur l’inflation (elle prévoit pour la première fois que l’inflation restera au-dessus de sa cible de 2% durant les trois prochaines années) plutôt que sur les risques économiques et financiers. La prudence reste donc de mise, surtout que nous anticipons que l’inflation va continuer d’accélérer en Zone Euro jusqu’après l’été.
- Au-delà de la Zone Euro, les marchés vont scruter les chiffres d’inflation américains publiés aujourd’hui. L’inflation devrait rester très élevée en mai (le consensus attend un chiffre stable à 8,3%), ce qui pourrait décevoir les marchés qui espèrent une accalmie de l’inflation américaine assez rapide dans les prochains mois.
« L’inflation élevée est un défi majeur pour nous tous. Le Conseil des gouverneurs fera ce qu’il faut pour que l’inflation revienne à son objectif de 2 % à moyen terme ». Ces phrases introduisent le communiqué de la BCE d’hier et montrent à quel point la BCE est inquiète sur les perspectives d’inflation. Lagarde a clairement expliqué que la BCE considérait que l’environnement avait fondamentalement changé depuis qu’elle a adopté sa nouvelle stratégie il y a un an, passant d’un monde où les risques étaient durablement déflationnistes à un monde où les risques inflationnistes allaient durer. Avec les craintes sur la croissance et sur les tensions financières clairement reléguées au deuxième rang pour le moment, nous pensons qu’il y a peu de chance que la BCE adopte un discours moins sévère au moins jusqu’à fin 2022.
La BCE a revu significativement à la baisse ses prévisions de croissance pour les deux prochaines années (à 2.8% pour 2022 contre 3.7% prévu en mars), mais surtout très fortement à la hausse ses prévisions d’inflation pour le court comme le moyen terme. En plus de revoir à la hausse de 1,7pt sa prévision d’inflation pour cette année (à 6.8%), la BCE prévoit désormais que l’inflation restera nettement au-dessus de la cible de 2% jusqu’en 2024. C’est la première fois que la BCE n’anticipe pas un retour de l’inflation en dessous de sa cible depuis qu’elle publie ses prévisions trimestrielles. Et c’est fondamental car la politique monétaire est sensée agir face l’inflation avec un délai de l’ordre d’un an, donc la BCE doit durcir sa politique monétaire dès maintenant pour permettre un retour de l’inflation vers les 2% à moyen terme. Dans le détail, la BCE prévoyait que l’inflation sous-jacente[1] sera de 2.3% encore en 2024 alors qu’elle anticipait en mars que l’inflation reviendrait sous les 2% dès 2023.
Un chemin de sortie des politiques non conventionnelles clair et rapide, avant une poursuite de la normalisation la politique monétaire à moyen terme plus graduelle et flexible.
Concernant les prochains mois, la BCE a annoncé hier (1) qu’elle arrêterait les achats nets d’actifs (le Quantitative Easing[2]) dès le 1er juillet, ce qui est le plus tôt possible étant donné que la BCE s’était engagée à arrêter le QE « durant le 3ème trimestre ». (2) Elle a indiqué qu’elle allait remonter ses taux de politique monétaire de 25pb lors de sa prochaine réunion en juillet. Ce sera la première hausse de taux de la BCE en plus de 10 ans, ce qui explique que la BCE ne souhaite pas considérer une hausse de taux plus marquée dès juillet (le marché anticipait une chance sur trois que la hausse de taux de juillet soit d’au moins 50pb). (3) Elle a également annoncé qu’elle pensait monter ses taux de nouveau en septembre et que cette hausse de taux pourrait être de 50pb si les risques inflationnistes de moyen terme ne s’étaient pas réduits d’ici là. Cela implique que la BCE sera, au minimum, sortie des taux négatifs d’ici septembre (en cas de hausses de 25pb) et nous pensons qu’une hausse de 50pb est devenue le scénario central. En effet nous anticipons que l’inflation totale (actuellement à 8.1%) comme celle sous-jacente (3.8%) vont augmenter encore d’avantage au-dessus de la cible de la BCE dans les prochains mois et que les économistes vont revoir à la hausse leur anticipations d’inflation de moyen terme au cours du 3ème trimestre après qu’elle a dépassé les 2% pour la première fois au T2. Dès lors il est peu probable que la BCE n’estime pas que les risques inflationnistes ont augmenté davantage et qu’elle ne révise pas de nouveau à la hausse ses prévisions d’inflation en septembre.
Au-delà de septembre, la BCE indique qu’elle pense poursuivre ses hausses de taux en territoire positif dans les trimestres suivants, de manière graduelle mais continue, et n’exclue pas de nouvelles hausses de 50pb si besoin. Concernant les politiques quantitatives, la BCE réitère son engagement à maintenir l’encours d’obligations qu’elle détient inchangé pour « une période prolongée » mais seulement pour délivrer la « politique monétaire appropriée » et non plus pour délivrer un « large degré de soutien monétaire ». Cela suggère que la BCE pourrait considérer réduire activement son bilan dans les prochains trimestres, même si cela n’est probablement pas une décision qu’elle prendra avant l’année prochaine.
Après la réunion de la BCE hier, nous revoyons à la hausse notre scénario pour les taux directeurs. Nous anticipons que la BCE va remonter ses taux de 25pb en juillet, de 50pb en septembre et de nouveau de 25pb en octobre et décembre (avec un risque que ces hausses soient de 50pb). Cela conduirait à un taux directeur à 0,75% à la fin de l’année, ce qui 50pb au-dessus de notre précédente prévision. Pour 2023, nous anticipons que la BCE ralentira son rythme de hausse de taux de tel sorte que le taux directeur atteindrait 1,5%. Le scénario anticipé par le marché est plus agressif avec un taux directeur à 0,85% fin 2022 et qui atteindrait quasiment 2% au cours de 2023.
La faiblesse de la BCE concerne le risque de fragmentation financière, et ce risque n’a pas vraiment été limité par la BCE lors de la réunion d’hier.
Nous avons plusieurs fois attiré l’attention sur le fait que la Zone Euro faisait face à un risque spécifique et fondamental lors du resserrement monétaire de la BCE, celui d’une hausse plus marquée du coût de financement des Etats les moins solides. En effet, il est difficile de limiter l’écartement des spreads de taux souverains et bancaires lorsque les taux d’intérêts sans risque remontent et que la BCE cesse d’acheter la dette de tous les pays de la zone en grande quantité. Le risque est d’entrainer de nouvelles divergences des conditions fiscales et bancaires entre les pays membres et des instabilités financières, comme ce fut le cas de façon aigue lors de la crise des dettes souveraines de la Zone Euro au début des années 2010. Ainsi, les spreads souverains de pays de la zone euro face aux taux allemands s’écartent depuis que la BCE est devenue moins accommodante début 2022, de manière significative même si le niveau des spreads n’est pas encore catastrophique.
La BCE a réitéré son engagement à combattre toute fragmentation financière indue et Lagarde a répété plusieurs fois que la BCE était prête à utiliser les outils existants ou à en créer de nouveaux si nécessaire. Mais cet engagement manque de détails pour être totalement crédible et rassurer les marchés selon nous.
Les outils existants sont limités tant que la BCE souhaite resserrer sa politique monétaire. La première ligne de défense est d’utiliser les flux de réinvestissements des obligations arrivant à échéance dans le programme mis en place durant le Covid (le PEPP[3]), qui sont flexibles dans le temps, entre actifs et entre pays. Mais ces flux sont « limités », de l’ordre de 17 milliards d’euro par mois ou 200 milliards sur un an. C’est à comparer au plus de 90 milliards d’euro par mois de dette publique que la BCE a acheté de manière flexible entre avril et juillet 2020 pour contrôler l’écartement des spreads souverains au début du choc du Covid. Un autre outil est l’OMT, le programme créé en 2012 suite au « quoi qu’il en coute » de Mario Draghi, mais ce programme n’a jamais été testé et surtout ne peut être mis en place qu’une fois qu’un pays est en crise et demande l’aide des fonds d’aides européens.
Concernant les nouveaux outils, il n’est pas clair que la BCE soit prête à en déployer, d’un point de vue technique comme politique, un car la structuration d’un tel outil est compliquée. Il doit permettre de défendre la dette pays souffrant d’un problème de liquidité mais pas d’un problème de solvabilité et sans injecter des liquidités dans le système financier européen dans son ensemble. Notre crainte n’est pas que la BCE ne soit pas capable de se mettre d’accord sur un tel outil si besoin, mais qu’il faille attendre que la tension financière soit très élevée avant que la BCE n’annonce la mise en place d’un tel outil.
En termes de stratégie d’investissement nous pensons que la prudence reste de mise même si le marché intègre déjà un resserrement monétaire de BCE assez agressif. En effet, l’inflation devrait continuer d’augmenter dans les prochains mois, ce qui devrait empêcher la BCE de venir à la rescousse de l’économie et des marchés au moins jusqu’à la fin de l’année. De plus, les dettes des pays les plus faibles de la Zone Euro pourrait souffrir encore d’avantage avant que la BCE ne réagisse, ce qui dégraderait encore davantage les conditions financières.