La crise ukrainienne : quels sont les enjeux pour les investisseurs ?

Trois scénarios pour l’économie mondiale et les marchés financiers.

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Position d’investissement actualisée

Bien que l’issue de la guerre en Ukraine reste imprévisible, il devient évident qu’elle pourrait entrainer un choc de stagflation[1] important pour l’économie mondiale. Par conséquent, nous rétrogradons tactiquement les actions et les valeurs financières de surpondération à neutre. En ce qui concerne les devises, nous rétrogradons également l’euro à une sous-pondération. Et pour nous couvrir contre le risque d’une escalade de la crise, nous reclassons les obligations d’État de sous-pondérées à neutre et l’or de neutre à surpondérées.

La flambée des prix du pétrole et du gaz en Europe  aura un impact immédiat sur des taux d’inflation déjà très élevés. Dans le même temps, les effets des sanctions, à la fois directement et par le biais de la confiance des consommateurs et des entreprises, rendront difficile la ré-accélération de la croissance économique et l’augmentation des bénéfices des entreprises aussi rapidement que pendant la pandémie de Covid.

À l’origine, nous pensions que la baisse des multiples de prix sur bénéfices, due au resserrement monétaire, serait plus que compensée par une hausse de la croissance des bénéfices des entreprises, ce qui se traduirait par des gains modestes pour les actions cette année. Toutefois, ces prévisions reposaient sur l’hypothèse d’un fort rebond économique. Les événements en Ukraine rendent ce scénario optimiste de plus en plus improbable. Au contraire, le risque de récession, notamment en Europe, est désormais important. Notre analyse montre que lorsque le prix du pétrole grimpe de 50 % au-dessus de la tendance, les récessions ont tendance à suivre avec un court décalage. Ainsi, étant donné les risques évidents de baisse de la croissance et les taux d’inflation élevés qui laissent une marge de manœuvre limitée, voire nulle, pour la stimulation de la politique monétaire, nous pensons qu’une position plus prudente sur les actifs à risque est désormais justifiée.

 

 

Fig. 1 – Grille d’allocation d’actifs mensuelle
Source: Pictet Asset Management

Dans le même temps, nous sommes prêts à nous repositionner sur les actions dès que nous verrons des signes d’une éventuelle désescalade du conflit. Les chocs géopolitiques sont généralement de courte durée et tendent à être suivis par de grands rallyes dès qu’il y a des signes de résolution. Comme le marché des actions était déjà survendu avant l’invasion, que la confiance des investisseurs était faible, la baisse devrait être limitée à partir de maintenant.

L’Europe est l’épicentre de ce choc géopolitique et les actifs de la zone euro sont sous forte pression. On parle déjà d’une intervention de la Banque centrale européenne pour soutenir l’économie. Toutefois, les valorisations ne sont pas encore assez bon marché pour compenser les risques géopolitiques d’une aggravation du conflit ou d’une grave récession en cas d’interdiction du gaz et du pétrole russes.

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Désescalade, ancrage du conflit ou aggravation de la crise?

L’invasion de l’Ukraine par les troupes russes le 24 février est l’un des plus grands chocs géopolitiques depuis une génération. Peu d’experts prévoyaient une telle tournure des événements à l’approche du conflit, même si les signes avant-coureurs étaient visibles.

Dans un premier temps, la réaction du marché a été contenue, hormis un bond des prix du pétrole et des matières premières. Un stress a toutefois immédiatement été ressenti par les investisseurs étrangers et nationaux en Russie, dont l’économie et les marchés financiers sont paralysés par les sanctions et autres interdictions d’activités commerciales. L’aggravation de la crise a ensuite emporté les marchés mondiaux dans une forte baisse.

Implications pour l’économie et les marchés mondiaux

Les événements en Ukraine ont aggravé les risques de “stagflation” qui apparaissaient avant même l’invasion. Les projections de croissance étaient déjà revues à la baisse et les prévisions d’inflation à la hausse.

Il est clair que le plus grand risque à court terme est un pic d’inflation déclenché par des perturbations dans l’approvisionnement en pétrole et en gaz russes, ce qui entraînerait une perte significative de la dynamique économique et, potentiellement, une récession.

Notre analyse montre que chaque fois que le prix du pétrole a dépassé de 50% sa tendance, comme c’est le cas actuellement, une récession a suivi. Même si le monde est moins dépendant du pétrole qu’il y a une génération, il représente toujours une part substantielle du PIB mondial et détermine les prévisions d’inflation et, par conséquent, la confiance des consommateurs.

L’impact de ces chocs ne sera pas uniformément réparti. Par exemple, la dépendance de la zone euro à l’égard des importations d’énergie en provenance de Russie, elles représentent 40% de la consommation de gaz de la région, la rend particulièrement vulnérable.

Dans le même temps, les importants déficits budgétaires du secteur public et les taux d’inflation élevés laissent une marge de manœuvre limitée, voire inexistante, pour des mesures de relance budgétaire ou monétaire supplémentaires de la part des principales économies mondiales. Quant à la zone euro, le marché prévoyait trois hausses de taux avant l’invasion. Et si une intervention de la Banque centrale européenne pour soutenir la zone euro n’est pas à exclure, il faudrait une récession sévère ou que les spreads sur les obligations d’État italiennes dépassent 250 points de base pour que la BCE lance de nouvelles mesures de relance.

Mais même si les risques ont clairement augmenté, il est important de souligner que les chocs géopolitiques ont tendance à être de courte durée. En général, les crises telles que les conflits militaires provoquent une baisse de 10% des actions sur une période d’un à deux mois, avant que cette liquidation ne cède la place à une forte reprise lorsqu’une résolution commence à prendre forme.

Scénarios et tests de résistance de notre scénario de base

Bien qu’il soit impossible de savoir comment les événements se dérouleront en fin de compte, nous explorons trois scénarios : la désescalade, l’enracinement du conflit et l’aggravation de la crise.

Nous avons testé nos modèles de croissance des bénéfices américains et européens et de rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans sur la base de résultats macroéconomiques que nous jugeons plausibles.

Fig. 2 – Scémarios macro et de marché
Scenarios FR
Source: Pictet Asset Management, au 28.02.2022

Désescalade Notre scénario de base, auquel nous attribuons une probabilité de 50%, prévoit une désescalade du conflit, dans le cadre de laquelle l’Ukraine et la Russie accepteraient un cessez-le-feu dans les semaines à venir et entameraient des pourparlers constructifs. Les sanctions les plus punitives, telles que l’interdiction faite aux banques russes d’accéder au système mondial de paiement SWIFT et le gel des avoirs de la banque centrale russe, sont levées, mais la plupart des autres mesures, telles que le gel des avoirs détenus par des personnes et des entités proches de l’administration russe et les restrictions à l’exportation, restent en place. Les perspectives de croissance et d’inflation ne devraient pas s’écarter beaucoup de ce que nous avions envisagé précédemment pour 2022 : la croissance américaine et européenne restant confortablement supérieure à la tendance et l’inflation atteignant un pic au cours du trimestre actuel. Le resserrement de la politique de la Réserve fédérale américaine devrait rester sur les rails, conformément aux attentes actuelles du marché en matière de hausse des taux d’intérêt pour l’année qui débute ce mois-ci. Toutefois, le risque que la banque centrale américaine adopte une attitude plus belliqueuse au prix d’un ralentissement de la croissance est largement écarté. Dans ce scénario, les actions mondiales pourraient augmenter fortement d’ici la fin de l’année, grâce à une hausse de 10% des bénéfices des entreprises. Les rendements du Trésor américain à dix ans augmentent légèrement, pour s’établir à environ 2,2%. Nous pensons que les actions seront la classe d’actifs la plus performante et conservons notre préférence pour les valeurs cycliques dans ce scénario.

Conflit enraciné. Ce scénario possible table sur une guerre d’usure prolongée. L’Occident impose encore plus de sanctions, bien que la réponse de la Russie soit limitée. Il s’ensuit une légère récession en Europe, la production économique se contracte de 1,5% en 2022, tandis que la croissance du PIB américain ralentit pour se rapprocher de la tendance à long terme de 2%. L’inflation reste plus élevée pendant plus longtemps, ce qui pèse sur le moral des consommateurs et retarde la reprise de la consommation et des services. La faiblesse du moral des entreprises, notamment dans la zone euro, devrait freiner les investissements. Dans ce cas, nous nous attendons à ce que la Banque centrale européenne maintienne sa position avec un biais d’assouplissement. La Fed ralentira le rythme de son resserrement mais devrait encore procéder à quelques hausses de taux d’intérêt cette année. Il s’agit là, à la marge, d’une évolution dans le sens de la stagflation, les matières premières, les actions américaines et les valeurs de qualité devant enregistrer les meilleures performances. Les valorisations des marchés actuelles nous semblent indiquer un scénario de ce type.

Aggravation de la crise. Le pire scénario est que le conflit s’étende et que l’OTAN s’implique plus explicitement. Un blocus commercial complet est mis en place par l’Occident ; la Russie réagit en réduisant ses approvisionnements énergétiques. Il en résulte une récession mondiale qui voit l’économie de la zone euro se contracter de 4% et la croissance américaine glisser à seulement 0,5%. L’impact de la crise sur l’économie européenne va dépasser les effets de second tour, car la production industrielle est touchée en raison de la pénurie ou du rationnement de l’approvisionnement énergétique. Les actions chutent encore matériellement, les bénéfices des entreprises diminuant de 25%. Les rendements du Trésor américain à dix ans tombent à 0,8%. Alors qu’une récession classique se profile et que les investisseurs cherchent à se protéger, les obligations d’État, les actions défensives et l’or se redressent.

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La crise ukrainienne : questions-réponses avec nos responsables d’investissement

L’économie russe peut-elle survivre aux sanctions qui lui sont imposées ? Et dans quelle mesure les actifs russes sont-ils investis ? Hugo Bain, senior investment manager, Russian equities:

Il est trop tôt pour dire quelles seront les répercussions à long terme pour la Russie. Mais il est clair que, à court et moyen terme, tout cela semble dévastateur pour l’économie russe.

Le gouvernement russe pensait qu’il survivrait aux sanctions parce que le monde est fortement dépendant de ses matières premières. Pourtant, l’ampleur des sanctions, et la vitesse à laquelle elles ont été imposées, a pris le régime de Poutine à contre-pied. Nous assistons maintenant à la fermeture complète du compte de capital de la Russie. Le gel des avoirs de la banque centrale russe est particulièrement significatif car il prive la Russie du bouclier qu’elle comptait utiliser pour protéger son économie.

En ce qui concerne les actifs russes, il n’y a plus de transactions sur les actions russes depuis plusieurs jours maintenant. Nous entendons parler d’un projet de réouverture du marché intérieur, mais il n’y a aucune certitude à ce sujet. Même si le marché intérieur est ouvert, il est peu probable que les actions russes puissent être investies alors que le compte de capital du pays est effectivement fermé.

Qu’en est-il du reste des marchés émergents ? Kiran Nandra, responsable de la gestion des actions émergentes :

Les exportateurs de matières premières au sein des marchés émergents sont clairement les plus susceptibles d’en bénéficier. Cela inclut l’Amérique latine et le Moyen-Orient. Cela correspond également à notre préférence pour la value par rapport à la croissance.

L’Asie, à première vue, risque de perdre un peu, étant donné qu’elle est l’un des plus grands importateurs de matières premières. Toutefois, nos recherches macroéconomiques montrent que l’impact reste relativement limité. En Asie, nous avons les deux géants : la Chine et l’Inde. Ces deux pays sont encore des économies très autonomes. Elles pourraient offrir un certain degré de stabilité pendant cette crise, en particulier les A-shares chinoises, qui ont montré des corrélations plus faibles en période de risque géopolitique accru.

La Russie va-t-elle faire défaut sur sa dette ? Et ses obligations risquent-elles d’être exclues des principaux indices des marchés émergents ? Mary-Therese Barton, responsable de la dette des marchés émergents :

Un défaut de paiement de la Russie est parfaitement concevable. La volonté et la capacité de payer ne sont en aucun cas certaines. Même si nous supposons qu’elle est disposée à effectuer des paiements de coupon, les sanctions qui lui sont imposées rendent cela très difficile. L’inclusion de la Russie dans les principaux indices est également menacée. Elle est actuellement sous surveillance et, jusqu’à présent, nous n’avons constaté aucun changement dans la pondération de ses indices. Mais cela ne va probablement pas durer longtemps.

Termes et définitions
1. stagflation. La stagflation est un phénomène économique caractérisé par la conjonction d’une stagnation économique et d’une inflation élevée. Cela…
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