La technique du caméléon

A l’approche de leur réunion du 1er février, les membres de la Banque centrale américaine (Fed) doivent observer une période de disette médiatique. L’occasion pour nous de synthétiser les points de vue exprimés jusqu’alors, et de compléter notre édito du 9 janvier dernier, dans lequel nous évoquions la nouvelle phase dans laquelle la Fed s’apprête à entrer.

Ces dernières semaines, plusieurs membres de la Fed ont pris la parole. Un exercice rodé à partir duquel des éléments de langage ont émergé, l’institution préparant les esprits à un ralentissement du rythme des relèvements de taux (de 0,50 % à 0,25 %). Tous évoquent la décélération bienvenue de l’inflation, notamment par le biais de la catégorie des biens et de l’énergie, et tous la juge encore trop élevée et trop éloignée de la cible des 2 %. Le point de la focale se situe désormais du côté de la catégorie des services, hors immobilier, et de la dynamique salariale. Le délai de transmission de la politique monétaire vers l’économie réelle est également présenté comme la justification principale de ce changement de tempo, dans le prolongement d’une hausse des taux directeurs de plus de 4 % en 2022. Enfin, la « réouverture » de la Chine, avec son potentiel inflationniste, représente une menace.

Des avis originaux ressortent toutefois, à l’instar de celui de Lael Brainard (vice- présidente de la Fed). Elle semble en effet plus optimiste concernant la détente du marché du travail et indique qu’une boucle prix-salaire similaire à celle des années 70 ne s’est pas formée. Patrick Harker (Fed de Philadelphie) a quant à lui souligné l’importance des données issues d’enquêtes, afin d’appréhender au mieux la situation économique. Or, depuis plusieurs mois, la perception de l’inflation par les entreprises a évolué, tant au sein des enquêtes régionales que nationales. Les prix « reçus » et ceux « payés » s’affaissent nettement, tout particulièrement s’agissant du secteur manufacturier.

En 2021, face à la recrudescence de l’inflation pour des raisons d’abord exogènes, la Fed a réitéré les erreurs d’Arthur Burns (président de la Fed de 1970 à 1978), en invoquant le caractère transitoire de ces facteurs. Tel un caméléon, la Fed s’est ensuite métamorphosée en Paul Volcker (président de 79 à 87), en remontant fortement les taux directeurs l’année dernière. En 2023, la Fed se dirige vers une transformation en Alan Greenspan[1] (président de 1987 à 2006). Ce dernier, surnommé « le maestro », est le seul à avoir réussi un atterrissage en douceur de l’économie américaine en 1994, grâce notamment à des rehaussements de taux préventifs et à l’analyse des informations remontées par les entreprises. Il a aussi pressenti le boom de productivité à la fin des années 90, aidé là encore par la « soft data ». Pour la Fed actuelle, cette nouvelle phase pourrait s’apparenter à une période de « fine tuning » à la Greenspan, avec le retour des pas de 0,25 % et de l’évaluation au compte-goutte du couple croissance-inflation.

Au cœur de ce changement de couleur, le concept fondamental de la crédibilité est à nouveau mis à l’épreuve. En dépit de ces discours bien ficelés, et de la volonté de maintenir les taux « plus hauts, plus longtemps », les marchés sont en dissonance avec la Fed. Ces derniers anticipent des baisses de taux dès le second semestre, et les conditions financières se sont largement détendues (hausse des actions, baisse du dollar, détente des rendements obligataires…) à la faveur des bons chiffres d’inflation.

Cette situation semble d’autant plus paradoxale que le consensus n’anticipe pas de dégradation marquée du marché du travail compatible avec une récession sévère, qui pourrait pousser les autorités monétaires à agir. Une autre raison – moins probable à ce stade – pour motiver un desserrement serait un risque de déflation ou d’inflation bien en deçà de 2 %. Au vu de la situation, la Fed pourrait donc être tentée de « recadrer » les marchés une nouvelle fois, d’autant que les chiffres d’inflation (indice PCE[2]) publiés la semaine dernière montrent bien la ténacité des services hors immobilier.

Une pause sur un taux terminal de ~5 %, une pause pour mieux repartir, ou bien une pause pour mieux baisser les taux ? Ces questions dépendent plus que jamais des données économiques à venir.

Source : Ecofi, au 27 janvier 2023

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