L’anti-Dylan: think twice, it will be all right !

Quand tout est compliqué, on a envie de simplifier. Au risque de déformer de trop et de se tromper. Mais la simplification permet l’action. Paul Valéry a dit que « ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable ».

Je crains qu’on en soit là aujourd’hui sur les marchés. La correction sur le compartiment obligataire s’appuie sur un diagnostic économique et de politique économique peut-être pas très bien établi. Gardons à l’esprit qu’on est pas à l’heure actuelle face à des évidences, qu’il s’agisse de croissance, d’inflation ou de politique monétaire. La réalité ressemble plutôt à un clair-obscur et il est nécessaire de regarder là où on voit moins bien. Et si la vérité de demain se trouvait dans les détails sur lesquels l’œil s’arrête moins ?

On le sait et on l’a beaucoup dit : l’environnement actuel des marchés est inédit et compliqué. Le caractère inédit est bien compris : dans un premier temps, une pandémie mondiale, qui a forcé à arrêter l’économie et qui a incité à poursuivre des politiques économiques extrêmement accommodantes. Le côté compliqué se ressent nettement à l’heure actuelle, avec cette impression qu’on entre dans une logique d’endémie aux conséquences économiques progressivement maîtrisables ; il faut donc à la fois normaliser les politiques économiques, tout en les faisant évoluer pour répondre aux enjeux de demain qui ne sont pas ceux d’hier et pourtant ne pas déstabiliser des structures économiques encore convalescentes, avec des symptômes de la crise passée qui sont encore présents (le tempo enlevé des prix pour ne prendre que cet exemple).

Disons deux mots d’abord sur cette endémie annoncée. Je reprends ici des éléments analytiques présentés par la banque américaine JP Morgan. Ils concernent le Danemark, dont on sait que le gouvernement vient de lever l’essentiel des contraintes imposées dans le cadre de la lutte contre l’épidémie. Le taux de mortalité du variant Omicron BA.2 serait de 0,05% et même de 0,03% si on ne prend pas en compte les comorbidités qui ont contribué au décès des personnes contaminées. Il est alors équivalent, voire inférieur, à celui de la grippe saisonnière. On peut raisonnablement croire que le constat a vocation à se généraliser ; au moins initialement dans le monde développé.

Passons à l’économie. Dans ce nouvel environnement sanitaire, on sent l’envie de recevoir des bonnes nouvelles. N’est-il pas logique que les choses aillent mieux ?  Oui, bien sûr ; mais que dans une certaine mesure. En termes de croissance, au-delà de l’idée qu’elle devrait être pérenne, sauf erreur de politique économique ou crise de marché, une double réalité s’impose. Premièrement, le rythme a significativement ralenti en début d’année. La composante production de l’indice composite PMI[3] monde se positionne à 51,4 en janvier contre 54,3 en décembre (54,5 sur l’ensemble de T4 2021). La chute est brutale. Deuxièmement, une inévitable décélération de l’activité mondiale est en cours. De 1985 à 2019, elle a progressé de 3,6% par an en moyenne ; elle a baissé de 3,1% en 2020, avant de rebondir à 5,9% en 2021 ; selon le FMI la croissance serait de 4,4% cette année et de 3,8% l’an prochain.

C’est en gardant ce cadre en tête qu’il faut probablement revenir sur la « divine surprise » du chiffre américain de l’emploi de janvier : 467 000 nouveaux postes de travail créés. La tendance ne faiblit pas, ou à peine ; preuve que le ralentissement de l’activité n’est pas pour de suite ! Voire ; comme un point ne fait pas une tendance, un indicateur ne pose pas un diagnostic ! On peut considérer que les employeurs restent optimistes aux Etats-Unis et continuent donc d’embaucher. Mais on doit aussi admettre que la batterie d’indicateurs sur l’état du marché du travail le mois dernier envoie un signal négatif sur l’activité. Le volume des heures travaillées (le nombre des personnes employées multiplié par la durée moyenne du travail) a baissé de 0,3% ; et ceci malgré la hausse de 0,3% de la main d’œuvre occupée. Le constat ne doit pas surprendre. Rappelons-nous la baisse spectaculaire de l’indice PMI composite[2] : de 57 à 51,1 (même si l’enquête ISM[4] indique une meilleure résistance ; comme quoi rien n’est très clair à l’heure actuel !).

Etats-Unis : baisse des heures travaillées en janvier

Puisque l’emploi se porte bien et que le taux de chômage est vraiment bas, comment ne pas considérer que l’accélération des salaires ne peut que se poursuivre ? De fait, le glissement sur un an du salaire horaire a atteint 6,9% en janvier, après +6,2% en T4 21 et +5,9% en T3 21. Comment alors ne pas légitimement craindre que la dynamique fortement haussière des prix aille en se maintenant ?

Une fois encore, il y a ici nécessité à élargir le champ de vision. Le salaire horaire est un indicateur biaisé du cout du travail et il est nécessaire de prendre en compte les gains de productivité. Je n’insiste pas davantage ; on, en a souvent parlé. A l’heure actuelle, deux choses apparaissent. Premièrement, la productivité est bien orientée. Les performances récentes sont au-delà de la tendance de moyenne période. Ainsi, au T4 2021 elle a progressé de 6,6% (d’une période à l’autre et en rythme annuel), effaçant la baisse de 5% du T3 et faisant ressortir un glissement sur un an de +2,1%. Deuxièmement, le profil des coûts salariaux unitaires (le coût du travail déflaté des gains de productivité) suggère que fondamentalement le glissement sur un an du noyau dur des prix à la consommation devrait refluer d’ici à quelques trimestres. Si tant est bien sûr que les tensions dans le secteur de l’énergie et le long des chaines de production s’estompent. Ce qui devrait être le cas, même si l’inflexion tarde à venir.

Trop d’information tue l’information, dit-on. Peut-être aussi que trop de statistiques économiques, qui plus est tirant à hue et à dia, gênent le bon diagnostic économique. Il reste alors à faire preuve de méthode : ne pas mélanger le bon grain avec l’ivraie en quelque sorte !

Etats-Unis : une productivité un peu au-dessus de la tendance

Le message envoyé par les coûts salariaux unitaires aux Etats-Unis

Voyons maintenant ce qui se passe du côté de la politique économique et arrêtons-nous sur la BCE. Tout le monde sur le marché a retenu un certain nombre d’éléments de langage, utilisés jeudi dernier au sortir du Conseil de politique monétaire, tant dans le communiqué publié qu’au cours de la conférence de presse tenue par la Présidente Lagarde :

  • pour ce qui est de l’inflation : surprise au vu des chiffres de janvier, préoccupation unanime du Conseil des gouverneurs et les risques concernant les évolutions à venir qui sont orientés à la hausse ;
  • pour ce qui est du réglage monétaire, on ne parle plus d’un nécessaire accommodement monétaire maintenu, afin d’assurer la stabilisation de l’inflation sur la cible de 2% l’an ; si la volonté d’ajuster les instruments à disposition pour atteindre cet objectif est rappelé, on ne dit plus que cela peut être dans un sens ou dans un autre ; l’affirmation selon laquelle une hausse des taux directeurs cette année était très peu probable n’est pas reprise.

La traduction en termes de mouvements de taux d’intérêt a été nette. Le taux d’Etat allemand à 10 ans a augmenté de plus de 20 centimes entre le 2 et le 8 février et l’italien, de 40 centimes.

Bien sûr, la communication n’était pas aussi univoque. En termes directionnels, aucune nouvelle prévision officielle d’inflation à l’horizon de quelques trimestres n’est proposée et la forward guidance[1] (guidage prospectif) n’est pas modifiée. Ce qui Hic et Nunc rend vraiment compliqué un relèvement des taux directeurs avant au mieux la toute fin d’année. Au niveau de l’analyse, les points allant dans le sens d’une modération graduelle des pressions haussières sur les prix sont aussi mis en avant, dont l’absence à aujourd’hui de pressions haussières sur les salaires. Mais le marché a surpondéré les éléments « à charge » au détriment de ceux « à décharge ».

Je crois que la réaction du marché a été considérée comme étant trop extrême (trop biaisée ?) par la BCE (au moins par l’axe central de ses décideurs). Déjà en fin de semaine dernière, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, y était allé de sa « petite grille de lecture » : « toutes les options sont possibles concernant les décisions à prendre à partir de mars prochain, en prenant en compte les indicateurs économiques les plus récents, les prévisions actualisées et la situation géopolitique ». Lundi, ce fût au tour de Christine Lagarde de faire sa « leçon de choses ». Son audition devant le comité des affaires économiques et monétaires du Parlement européen a servi de prétexte.

En matière d’inflation, la Présidente de la BCE fait deux commentaires :

  • concernant la situation présente, il faut se rappeler que l’essentiel de l’accélération des prix à la consommation est le fait de l’énergie (la moitié) et des goulots d’étranglement dans le secteur des biens non-énergétiques ; en n’oubliant pas que les niveaux atteints n’ont pas grand-chose à voir avec ceux observés outre-Atlantique ou outre-Manche (dernier glissement sur un an du noyau dur, 2,3% en Zone Euro, 5,5% aux Etats-Unis et 4,2% au Royaume-Uni) ;
  • concernant l’avenir, deux déroulés sont possibles : soit hausse des coûts de production à cause du renchérissement de l’énergie et « effets de second tour » sur les salaires, soit perte de pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, ralentissement de la demande et in fine moins de pressions haussières sur les prix ; le tout pour conclure que l’observation historique insiste davantage sur le second.

En matière de politique monétaire, Christine Lagarde s’inscrit complétement dans la perspective dressée par son compatriote autour de la table du Conseil des gouverneurs.

La BCE se doit évidemment d’intégrer les derniers chiffres des prix à la consommation et de prendre en compte les initiatives prises les autres banques centrales qui comptent sur la planète financière. Il n’empêche que sa boussole s’appelle perspectives d’inflation à quelques trimestres et son plan de route, forward guidance. Ne changeons pas l’ordre des choses !

Termes et définitions
1. forward guidance. La “forward guidance” est une technique de politique monétaire utilisée par les banques centrales pour communiquer leurs intentions…
2. PMI composite ( PMI composite ) Un indice PMI composite est un indicateur économique qui combine les données des indices PMI manufacturier et des services pour fournir une vision plus complète et globale de l'activité économique.
3. PMI ( PMI ) L'indice PMI (Purchasing Managers' Index) est un indicateur mensuel qui mesure la performance des secteurs de l'industrie manufacturière et des services.
4. ISM ( ISM ) L’indice ISM, également connu sous le nom de rapport sur l’activité manufacturière de l’Institute for Supply Management (ISM),…
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Prec.
Sanso Espresso : Quelle est la situation économique de la Chine ?
Suiv.
“Le marché gage que Réserve Fédérale gagnera le combat contre l’inflation !”
Plus de publications

Abonnez-vous

Abonnez-vous et recevez toutes les semaines notre newsletter économique et financière.