L’évolution des rendements obligataires réels et des points morts des obligations protégées contre l’inflation est révélatrice des performances futures du reste du marché obligataire. C’est particulièrement utile à l’heure actuelle.
Les rendements réels sont toujours pertinents. Pourtant, les investisseurs obligataires feraient bien de prêter une attention particulière à leur évolution actuelle. En effet, un contexte de hausse des rendements réels américains et de baisse des points morts sur les bons du Trésor américain indexés suggère que les marchés des obligations et du risque de change doivent se préparer à souffrir davantage.
Notre modèle des rendements réels américains par rapport aux points morts d’inflation des titres indexés suggère que les marchés tablent encore sur davantage d’appréciation du dollar américain, sur une faiblesse des obligations et des devises des marchés émergents et sur des reculs des obligations à haut rendement. À titre de comparaison, les obligations investment grade et les bons du Trésor américain évolueront probablement dans une fourchette limitée.
D’une manière générale, le modèle décrit quatre régimes de marché différents, selon que les rendements réels et les points morts sont en baisse ou en hausse. Vous trouverez plus de détails dans cet article. Chacun de ces régimes a des répercussions différentes pour les actifs obligataires et les devises (voir Fig. 1).
Par exemple, pendant les périodes de baisse des rendements réels et de hausse des points morts – comme entre septembre et novembre de l’année dernière, sur fond de prévisions d’accélération de l’inflation en raison de l’intensification des chocs sur l’offre et la demande – le dollar a tendance à s’affaiblir tandis que les obligations et le crédit à risque ont tendance à s’apprécier. À l’inverse, une période de hausse des rendements réels et des points morts – comme au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, ce qui a conduit la Réserve fédérale américaine à abandonner son discours sur l’«inflation transitoire» et à commencer à relever ses taux – a tendance à entraîner une hausse du dollar, mais un recul des bons du Trésor et du crédit investment grade.
En temps normal, on peut observer des transitions plus lentes entre des régimes plus durables. Toutefois, ces douze derniers mois, nous avons assisté à des changements spectaculaires dans les discours sur la situation macroéconomique et monétaire, qui ont vu le ton des banques centrales passer de la rigueur à la souplesse, et inversement. Au cours de cette période, la limite supérieure du taux cible des fonds fédéraux américains est passée de 0,25% à 2,5% alors que l’inflation des prix à la consommation a culminé à 9,1%, son niveau le plus élevé depuis 1981. Dès lors, depuis août 2021, nous avons connu plusieurs régimes de notre modèle (voir Fig. 2).
Et puis est arrivé le dernier changement en date. En août dernier, les gouverneurs de la Fed ont clairement indiqué qu’ils craignaient que la chute de l’inflation ne soit pas aussi rapide que prévu et qu’ils ne voulaient pas commettre les mêmes erreurs que dans les années 1970, quand la Fed avait stoppé à plusieurs reprises ses mesures anti-inflation de façon précipitée. Le discours sévère du président Jerome Powell à Jackson Hole est venu couronner cet état d’esprit. Il y indiquait clairement que le principal but de la Fed était de ramener l’inflation à son objectif de 2%. Selon lui, il allait donc falloir traverser une période de croissance inférieure à la tendance et d’affaiblissement de la situation du marché du travail, parlant ainsi de la «douleur» à venir. Le retour à un taux d’intérêt neutre n’a pas été suffisant. M. Powell a expliqué qu’il allait plutôt falloir maintenir une politique restrictive pendant un certain temps.
Nous entrons donc dans un régime de hausse des rendements réels et de baisse des points morts (régime 3 de la Fig. 1).
Les investisseurs qui tablent sur un revirement rapide devraient en prendre note. L’histoire récente nous a montré une Fed capable de rapidement stopper le resserrement de sa politique face à un affaiblissement de la croissance. À présent, pourtant, tant que l’inflation semble résister au retour à l’objectif dans un laps de temps raisonnable, il semble que la Fed fermera les yeux sur la montée du chômage et des risques de récession.