Le marché du travail américain reste tendu

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Marchés :Encore une fois, les chiffres de l’emploi américain ont semé le trouble sur le marché. En effet, alors que le marché attendait un chiffre très médiocre (seulement 35 mille dans le secteur privé), le bureau des statistiques de l’emploi a annoncé 444 mille créations de postes de travail pour le secteur privé, ou 467 mille pour l’ensemble de l’économie. Évidemment, ces chiffres ont renforcé les paris sur les anticipations de resserrement monétaire. Les anticipations de relèvement des taux sont passées à près de 6 fois en 2022, soit presque une à chaque réunion du comité de politique monétaire à partir de mars. En outre, le taux « terminal » est monté aussi de 10 points de base, ceci se reflétant sur les taux à long terme qui ont gagné près de 10 points de base sur la séance de vendredi dernier.

Les créations d’emplois aux Etats-Unis, selon l’enquête auprès des entreprises, ont été très largement supérieures aux prévisions. En effet, 467 postes de travail ont été créées dans l’économie américaine en janvier contre 125 mille anticipés par le consensus des économistes. Pour une fois, depuis plusieurs mois, les créations d’emplois ont été bien plus élevées qu’anticipés. En outre, les créations d’emplois ont été révisées de plus de 700 mille sur les deux derniers mois.

En très grande partie, ces chiffres reflètent des changements importants dans les traitements de statistiques. Chaque année, les statisticiens du bureau des statistiques, revoient les dynamiques de l’emploi sur l’année précédente pour, en particulier, mieux tenir compte de possibles changements saisonniers concernant les créations d’emplois. Ainsi, sur l’année dernière, ces changements ont été très importants. Changeant donc l’évolution au mois le mois des créations d’emplois.

Néanmoins, il serait erroné de penser que ces changements donnent une vision déformée du marché de l’emploi. Ils représentent toujours la meilleure photographie qu’on puisse avoir du marché du travail. En fait, outre la révision du facteur saisonnier, le niveau de l’emploi sur 2021, mesurée par cette enquête auprès des entreprises aurait été de 200 mille postes plus élevée que l’estimation précédente.

En même temps, on peut s’étonner de ne pas avoir vu un impact plus important de la montée des contagions sur l’emploi en janvier. En effet, que ce soit la montée des demandes d’indemnisation chômage et certains indicateurs d’enquête sur le marché du travail plus faibles, on aurait pu s’attendre à un impact notable. Ce ne fut pas le cas.

Cet affaiblissement semble avoir été mieux reflété dans l’enquête auprès des ménages avec une légère montée du taux de chômage, malgré des révisons statistiques. Celui s’établit désormais à 4%, contre 3,9% le mois précédent.

Toutefois, le message à retenir est bien que le marché du travail américain reste tendu. Un taux de chômage à 4% reflète déjà un niveau historiquement faible, même si au-dessus du niveau historiquement bas de 3,5% observé avant la crise sanitaire. Une autre mesure du chômage, c’est-à-dire en ajoutant les travailleurs découragés dans leur recherche d’emploi et ceux à temps partiel, est quant à elle tombée à 7,1% soit seulement à 0,1-0,2 point de pourcentage au-dessus du niveau historiquement bas atteint avant la crise. Il est évident que le marché du travail américain reste dans une situation de tension importante. En ce sens, la politique monétaire actuelle d’extrême accommodation semble bien complètement hors de propos.

Etats-Unis : le taux de chômage élargi atteint celui d'avant crise

Avant de parler d’autres mesures de tensions, il est aussi intéressant de voir l’impact que les changements statistiques ont eu sur les évolutions sectorielles. On peut constater, en particulier, que la dynamique des créations d’emplois dans les secteurs de la restauration et de l’hébergement a été beaucoup plus importantes que ce qui avait été estimé précédemment. Ces secteurs restent parmi les plus déprimés comparés à la situation d’avant-crise (près de 1,8 million d’emplois en moins par rapport à l’avant-crise. Ils restent donc un énorme vivier pour des créations futures. Donc le fait que la dynamique soit meilleure doit être pris comme favorable pour l’avenir, dans une situation où la situation sanitaire s’améliore.

Si on revient sur les manifestations des tensions sur le marché du travail, on a encore constaté que la mesure des salaires horaires hebdomadaires a de nouveau accéléré en glissement annuel, atteignant 5,7%. En écartant le chiffre rempli de distorsion du début de la crise sanitaire, cette hausse est la plus élevée depuis que la nouvelle série sur les hausses des salaires a été publiée, soit depuis 2007. Le plus probable est que ces hausses vont être confirmées dans les prochaines statistiques sur le coût du travail pour le 1T22.

Une autre mesure utile est celle des personnes qui démissionnent, en général pour chercher un autre mieux rémunéré. Ce taux a retrouvé un niveau très élevé, reflétant encore les tensions existantes.

Évidemment reste le fait que le taux de participation reste plus faible que celui atteint avant la crise. Il a certes augmenté graduellement (+0,3 points en janvier) dans cette phase de reprise économique, mais il reste encore près d’un point de pourcentage en dessous du taux qui prévalait avant-crise. Ainsi, on peut imaginer qu’il est encore possible de ramener plus d’individus dans le marché du travail en préservant la croissance. Néanmoins, il faut aussi peut être des reformes structurelles pour y réussir, y compris apporter plus de solutions à la garde de garde d’enfants à la population américaine.

La difficulté majeure de la Fed est bien de comment réussir à normaliser sans casser la croissance tout en s’assurant de calmer les pressions inflationnistes, c’est-à-dire en contraignant quelque peu la demande ? À ce stade, il est difficile de s’inquiéter de trop vu le chemin à parcourir pour vraiment retrouver des conditions monétaires restrictives, en les mesurant par les niveaux des taux réels.

Néanmoins, on le voit bien, la normalisation aura aussi comme conséquence un ajustement des prix des actifs, avec la remontée des taux d’intérêt. Une trop forte turbulence sur les marchés financiers pourrait déstabiliser les économies, notamment l’économie américaine, où les effets de richesse réelle sont plus importants qu’ailleurs.

Pour l’instant, le marché pense que la Fed devrait accélérer le pas sur la normalisation avec près de six hausses de taux directeurs anticipées pour 2022. Il n’est pas impossible que la Fed ait à le faire si l’inflation et les tensions sur l’emploi persistent. Néanmoins, tout en admettant que la Fed est en retard dans son cycle de resserrement, elle devra être très prudente dans le retrait de l’extraordinaire stimulation qu’elle a donné à l’économie, créant en outre le sentiment sur le marché que cette situation allait être éternelle.

Encore une fois, il nous semble qu’une stratégie qui met l’accent sur la recherche de titres décotés fait sens dans ce mouvement potentiel de revalorisation des actifs avec une liquidité qui sera retirée graduellement.

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