- Guerre : Malgré la reprise de pourparlers et des annonces optimistes de la part des négociateurs ukrainiens, il semble bien que la Russie ne soit toujours pas dans une approche conciliante qui mènerait notamment vers un cessez-le-feu. Par ailleurs, il semblerait que les pays européens seraient prêts à amplifier les sanctions si jamais les informations en provenance de la ville de Boutcha sur d’éventuels crimes de guerre perpétrés par l’armée russe venaient à être avérés. Aussi, l’Europe se prépare à des possibles restrictions de gaz par la Russie, qui a maintenu sa demande de payements en roubles pour son pétrole et son gaz. Cette situation continue d’affecter le sentiment des acteurs de marché et économiques. Néanmoins, les initiatives se poursuivent afin d’atténuer la pression sur les prix de l’énergie de deux côtés de l’Atlantique. Plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, ont rejoint les Etats-Unis dans l’objectif d’utiliser leurs stocks stratégiques pour réduire l’éventuelle pénurie de produits pétroliers. L’administration Biden a promis jusqu’à 1 million de barils jours pour les six mois à venir. Ceci devrait aider à court terme, mais ne peut pas être une solution de moyen long terme pour équilibre le marché pétrolier.
- Marchés : Évidemment, la situation en Ukraine continue d’être une inquiétude pour les marchés, néanmoins toute donnée conjoncturelle est maintenant regardée avec intention pour mesurer l’impact que la guerre est en train d’avoir sur la trajectoire de l’activité économique. En ce sens, pour l’instant on ne peut que constater que l’effet de la guerre est plus marqué sur le sentiment des ménages et des entreprises concernant l’avenir que sur les chiffres eux-mêmes. En effet, les dernières statistiques sur l’activité en mars que ce soit en zone euro ou aux Etats-Unis restent assez favorables. Aux Etats-Unis, les PMI manufacturiers pour le mois de mars donnent un message mitigé sur l’évolution récente, mais quelle que soit la mesure (ISM, PMI S&P) ils soulignent toujours que l’activité industrielle reste robuste. En Zone Euro, les PMI manufacturiers définitifs pour mars, ont été plus faibles que les valeurs préliminaires, tout en restant à des niveaux élevés, soulignant que les impacts de la guerre sont évidemment plus forts en Europe.
- Encore outre Atlantique, on a eu la confirmation que le marché de l’emploi reste sur une dynamique très porteuse avec plus de 400 mille emplois créés sur le mois de mars et un taux de chômage à 3,6% soit assez proche du plus bas historique depuis la fin des années 1960. Ceci devrait conforter la Fed sur le besoin de durcir la politique monétaire plus rapidement que prévu, d’autant plus que les salaires continuent leur progression, même si toujours plus lentement que l’inflation. Sur ce point, l’inflation pour le mois de mars en Zone Euro à 7,5% en glissement annuel a encore surpris à la hausse, toujours poussée par la montée du prix de l’énergie en conséquence des effets de la guerre. L’inflation cœur, même si bien plus modérée, à 3%, continue sa progression, ce qui devrait toujours conforter la BCE dans sa politique de sortie plus rapide de la situation d’extrême accommodation monétaire actuelle, d’autant plus que les anticipations d’inflation de marché restent proches de plus hauts connus avant et juste après la crise financière de 2008-2009, montrant peut-être une sortie de la dynamique déflationniste provoquée après la crise européenne à partir de 2011.
- Les marchés, dans les semaines qui viennent devraient rester très volatils devant le nombre considérable d’incertitudes qui rendent les perspectives économiques difficiles à appréhender. Les résultats des entreprises pour le 1er trimestre, et surtout leur communication sur les perspectives à avenir devraient un peu éclairer le marché et accentuer les choix des titres dans un contexte qui sera dominé encore pour un temps par une croissance en décélération, une inflation élevée et un resserrement monétaire dont l’ampleur reste un grand sujet de débat.
Le taux de chômage américain est descendu à 3,6% en mars, soit très proche de celui de 3,5% qui prévalait avant la crise sanitaire et qui était un plus bas depuis plus de 50 ans. Cette évolution correspond à la poursuite des créations d’’emplois dans presque tous les secteurs (431 mille hors secteur agricole), mais toujours avec les activités qui bénéficient de l’ouverture de l’économie, et qui connaissant donc une dynamique encore plus favorable. En particulier, les secteurs du loisir et de l’hébergement ont été de nouveau les plus gros contributeurs avec plus de 100 mille postes de travail supplémentaires ajoutés en mars.
Au total, 562 millions postes de travail par mois en moyenne ont été créés sur le premier trimestre, soit proche de la dynamique du début 2021 quand l’activité était en train de rebondir après la paralysie économique du début de la pandémie. Ceci indique bien la robustesse du marché du travail américain aujourd’hui.
En même temps, la situation tendue du marché du travail, même si le taux de participation reste un point de pourcentage en dessous du niveau d’avant crise sanitaire (62,4% contre 63,4%), continue de mettre de la pression sur les salaires. Ainsi, les salaires hebdomadaires horaires ont progressé encore de 0,4% sur le mois, se traduisant par une progression de 5,6% en glissement annuel. Cette progression reste néanmoins en dessous de l’inflation, ce qui montre bien le pouvoir d’achat des ménages est en train d’être érodé par les hausses des prix, ce qui devrait avoir un effet sur la consommation dans les mois à venir et participera à la décélération de l’activité que nous prévoyons.
Confirmant la robustesse du marché du travail outre Atlantique, les indicateurs d’activité restent aussi à des niveaux élevés. Néanmoins, sur le mois de mars, l’enquête PMI de l’ISM, celle qui a la profondeur historique la plus importante et qui reste sûrement la plus fiable, a montré une tendance baissière sur le mois de mars, en partie due notamment à une progression des nouvelles commandes mois vives que sur le mois précédent. Ce manque de dynamisme peut être associé à une attitude plus prudente des industriels, d’autant plus que l’enquête montre bien que les coûts, notamment avec les mesures des prix, sont de nouveau repartis fortement en hausse. Nous nous attendons à voir une poursuite de la décélération de l’activité dans le mois à venir, mais encore une fois à partir des niveaux très élevés. Soulignons tout de même que l’indicateur conjoncturel concurrent, qui est l’enquête PMI de S&P, a montré une dynamique plus favorable avec une accélération de l’activité sur le mois.
En Europe, et on peut dire sans surprise, les enquêtes PMI de S&P finales pour le mois de mars ont montré que l’activité industrielle a décéléré davantage que prévu. Il n’empêche qu’avec un indice à 56,5, on conserve un niveau d’activité encore très robuste. Néanmoins, vu l’exposition de la zone à la guerre en Ukraine et une dépendance énergétique plus élevée, nous tablons toujours sur un ralentissement plus prononcé qu’outre Atlantique, et ce, malgré les aides mises en place pour atténuer le choc de la hausse de la facture énergétique.
Le choc lié à la guerre, notamment avec la poussée des prix de l’énergie continue de faire monter l’inflation dans le monde et notamment en Europe. Ainsi, les derniers chiffres d’inflation pour la zone Euro pour le mois de mars ont de nouveau surpris à la hausse à 7,5% en glissement annuel. Comme indiqué, une grande partie de cette hausse est liée à la progression des prix de l’énergie qui ont monté de 44% sur un an. Néanmoins, l’inflation cœur, soit en excluant les biens les plus volatils, notamment l’énergie, continue aussi de progresser, s’établissant à 3% en glissement annuel. Ce niveau est le plus élevé depuis la création de l’Euro. Mais la vraie question pour le marché et la BCE est toujours de savoir si les facteurs derrière ces évolutions sont temporaires ou pas ?
A notre avis, alors qu’il existe évidemment des facteurs temporaires liés notamment aux perturbations de chaînes de production au niveau mondial à cause de la pandémie, il est certain que la robustesse de la reprise économique, soutenue notamment par des politiques économiques, hyper stimulantes, jouent aussi un rôle très important dans cette poussée des prix. Néanmoins, la poussée de l’inflation dans la zone, mesurée sur l’inflation cœur, est moindre que celle qu’on voit outre Atlantique. Ceci est en partie due à une demande qui a moins progressé dans la zone, car le soutien de la politique budgétaire a été moins puissant qu’aux Etats-Unis. En effet, en Zone Euro, tous les pays n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’activité d’avant la crise sanitaire, ce qui contraste avec la situation aux Etats-Unis où le niveau du PIB est très largement au-dessus de celui d’avant crise, et ce, depuis le printemps dernier.
Quoi qu’il en soit, on constate sur le dernier mois une forte progression des anticipations d’inflation telles qu’on peut les lire au travers du marché obligataire. Ceci traduit bien les inquiétudes de la BCE sur l’évolution future de l’inflation et donc son changement de stratégie en ce qui concerne la normalisation de sa politique monétaire.
Néanmoins, alors qu’on peut penser que la rhétorique de la BCE restera très combative sur les mois à venir, il reste à voir quelle sera la conséquence du choc énergétique sur la croissance européenne. Ceci pourrait dicter un peu plus de prudence sur la stratégie de sortie de la situation d’extrême accommodation monétaire actuelle. Nous tablons toujours sur une hausse de taux directeur d’ici la fin d’année. Mais, sauf récession, il nous semble que la trajectoire, même si elle peut être ralentie, restera celle d’un changement de cap de la politique monétaire afin d’être normalisée. Sans vouloir être trop optimistes, il nous semble qu’il est possible d’envisager, notamment avec les modifications qui se sont opérées sur le « policy mix » européen et sur les choix stratégiques qui sont fait aujourd’hui, que la Zone Euro peut être en train d’échapper au gouffre déflationniste qui a dominé sa trajectoire pour près d’une décennie.