Le marché obligataire cherche une boussole

  • Autour des cérémonies des célébrations de la fin de la deuxième guerre mondiale, les pays du G7 ont adopté le principe d’un embargo du pétrole russe. En même temps, les Etats-Unis ont accentué les sanctions vis-à-vis de la Russie en coupant l’accès aux entreprises russes à certaines sociétés de conseil. Aujourd’hui, autour des commémorations de la victoire contre le nazisme, le discours du président Poutine sur la guerre pourrait donner une indication sur l’évolution du conflit. Pour l’instant, les sanctions contre la Russie continuent de maintenir le pétrole à un niveau élevé. Le baril de Brent reste au-dessus de 110 dollars.
  • Les marchés sont à la peine devant les nombreuses incertitudes qui pèsent sur la conjoncture économique. L’évolution future des politiques monétaires reste la plus grande inquiétude ainsi que le possible danger d’une décélération de l’activité plus prononcée que prévue, voire l’éventualité d’une récession. Cette perspective a gagné du terrain en fin de semaine avec la prévision de la banque d’Angleterre d’une chute du PIB de 0,25% en 2023, alors que l’inflation resterait très élevée. La perspective d’une récession, alors que l’inflation reculerait avec beaucoup de lenteur, a contribué à faire baisser la presque totalité des classes d’actifs la semaine écoulée. Les taux d’intérêt ont fortement monté, baissant la valeur des obligations, alors que les bourses baissaient fortement. Il est probable que cette volatilité restera très présente. Nous continuons de penser que la prudence doit l’emporter dans les allocations d’actifs. Il nous semble qu’il est important de conserver une exposition très défensive en privilégiant toujours des valorisations raisonnables sur les actions devant les inquiétudes qui pèsent sur la croissance et la hausse des taux d’intérêt que nous venons de connaître. En même temps, il est important de souligner que les dernières données sur l’emploi américain pour le mois d’avril, continuent de confirmer la robustesse du marché du travail outre-Atlantique ce qui devrait soutenir la croissance pour encore un temps, même si ceci devrait conforter le resserrement rapide la politique monétaire entamée par la Fed.

Les taux d’intérêt continuent leur progression, avec notamment les taux à dix ans qui ont dépassé des niveaux qui n’avaient pas été atteints depuis plusieurs années. Ainsi, sur les taux à 10 ans, en Allemagne, on est passé au-dessus de 1,1%, un plus haut depuis 2014, et aux Etats-Unis nous avons dépassé les 3,1%, un plus haut depuis 2018. Ces hausses reflètent, d’une part, la révision assez forte des anticipations d’inflation après la période de complaisance qui a prévalu au cours de la fin 2021 et début 2022. Évidemment, la nouvelle poussée des anticipations d’inflation a été le fruit des très fortes hausses des prix des matières premières, notamment de l’énergie, suite à la guerre en Ukraine. Nous pensons, si nous n’avons pas un nouveau choc, que certains effets de base, notamment sur les matières premières devraient s’estomper. Ainsi, aux Etats-Unis, on devrait avoir atteint un pic sur l’inflation. Néanmoins, la route vers la décrue de celle-ci reste très incertaine, notamment devant les dynamiques que nous constatons aux Etats-Unis, avec des fortes tensions sur les salaires.

L’autre élément essentiel derrière cette hausse des taux d’intérêt est évidemment le changement radical des banques centrales concernant la normalisation des politiques monétaires. La Fed est clairement en tenue de combat avec la promesse de hausses très fortes (en fait, les plus fortes sur une période aussi courte que nous ayons connue) pour les mois à venir. En Europe, nous avons vu la Banque d’Angleterre augmenter de nouveau ses taux directeurs et annoncer la nécessité de la poursuite des hausses vu l’évolution de l’inflation qui, d’après l’institution devrait s’approcher des 10% cette année. En Zone Euro, l’ajustement de la politique monétaire est jusqu’à maintenant assez lent. Même, si nous, comme le marché, anticipons des hausses de taux (2-3) d’ici la fin d’année.

Au total, la réaction du marché a été brutale, avec un changement assez radical dans la perception des opérateurs sur les évolutions futures, notamment des politiques monétaires.

En fait, sur la dernière semaine, il nous a semblé voir le retour de ceux qu’on appelait jadis les « bonds vigilantes » (les « justiciers » du marché obligataire), qui dans les périodes de forte inflation venaient « discipliner » les banques centrales pour qu’elles ajustent leurs politiques devant la montée de l’inflation. Ainsi, on voit aujourd’hui le marché anticiper des taux directeurs qui pourraient aller beaucoup plus haut que prévu, il a encore quelques semaines. Ceci se traduit notamment par des taux réels qui continuent leur montée, soit l’anticipation d’une sortie de la situation structurellement accommodante qui prévalait jusqu’à maintenant.

Etats-Unis : un ajustement très rapide des taux longs

Nous constatons aussi, quand on essaie de voir comment le marché intègre les incertitudes sur l’avenir dans la fixation de la prime de terme (c’est-à-dire la prime pour détenir une obligation à une maturité lointaine), qu’enfin celle-ci redevient positive aux Etats-Unis.

Etats-Unis : la prime de terme légèrement en territoire positif

Néanmoins, la montée des taux que nous venons de voir a été très forte et rapide. Ceci nous incite à penser qu’une certaine accalmie devrait apparaître dans les semaines à venir. Nous restons toutefois très prudents sur l’évolution des taux et de la volatilité associée, car évidemment le contexte actuel reste peu porteur pour la classe d’actif. Une confirmation que le pic d’inflation est proche aux Etats-Unis, comme nous l’anticipons à ce stade, pourrait offrir ce moment de répit au marché obligataire. Mais il est évident que pour l’instant le marché à du mal à trouver sa boussole.

En même temps, la force du marché du travail américain, comme l’a montré le rapport sur l’emploi pour le mois d’avril, contribue à maintenir en alerte le marché obligataire. En effet, avec plus de 428 mille créations d’emplois sur le mois, au-dessus du consensus des économistes, ont a constaté que la situation de l’emploi outre Atlantique reste très solide. Le taux de chômage, inchangé à 3,6%, est ainsi resté proche du plus bas historique de 3,5%, que nous avions connu avant la crise sanitaire et à la fin des années 70. Clairement, l’économie américaine est au plein-emploi.

Etats-Unis : taux de chômage reste proche du plus bas historique depuis 1969

En fait, avant le rapport, on pouvait craindre, suite aux diverses enquêtes auprès des entreprises, que le marché du travail était tellement tendu qu’il n’était pas simplement difficile pour les entreprises d’embauchée, comme nous le savions déjà, mais qu’il pourrait être difficile de voir une progression aussi forte de l’emploi compte tenu du manque de main d’œuvre. En fait, les embauches se poursuivent à un rythme proche des mois précédents.

Néanmoins, ce marché du travail tendu se traduit par des tensions aux niveaux des salaires. Même si la mesure qui est publié dans le rapport ‘emploi, soit le salaire horaire hebdomadaire, progresse un peu moins vite que le mois précédent, la progression des salaires reste très vive. Ceci confirme ce que nous avait dit la mesure plus fiable et complète du coût du travail pour le premier trimestre. Cette évolution des salaires rapide est évidemment un élément d’inquiétude pour la Fed pour l’évolution de l’inflation future.

Etats-Unis : des tensions sur le marché de l'emploi qui poussent les salaires à la hausse

Alors que les inquiétudes sur une possible récession à venir gagnent du terrain, il est important de souligner que l’évolution de l’emploi continue de nous dire qu’une telle éventualité n’est pas pour tout de suite. En effet, l’indicateur très simple introduit par Claudia Sahm, une ex-économiste de la Fed, et qui essaie de déterminer la possibilité d’une entrée en récession à travers l’évolution du taux de chômage, continue de nous rassurer.

Etats-Unis : l'évolution du taux de chômage est loin d'anticiper une récession

Néanmoins, il est évident que la trajectoire de la politique monétaire reste très incertaine et que compte tenu des niveaux d’inflation actuels, il se peut qu’il soit difficile d’assurer l’atterrissage en douceur qui est désirée dans les deux années à venir. Nous sommes conscients de ce danger, mais à court terme, à horizon des quelques trimestres, le danger d’une récession nous semple peu probable. Il faut toutefois rester prudents sur la façon dont le marché peut appréhender ce danger.

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