Les marchés continuent de s’ajuster aux perspectives économiques dégradées et de resserrement monétaire agressif des banques centrales. Ainsi, les actions continuent de baisser nettement début septembre et ne sont plus que 3% au-dessus de leur point bas de juin alors que les taux courts sont au nouveau plus haut depuis 15 ans et que les taux longs sont quasiment revenus à leur point haut de juin des deux côtés de l’Atlantique.
- Nous conservons un positionnement défensif sur les marchés avant les réunions de la BCE et de la Fed de septembre, lors desquelles les banques centrales pourraient remonter leur taux directeur de 75pb et devraient garder un discours dur sur l’inflation, et alors que les bénéfices des entreprises pourraient commencer à décevoir compte tenu du ralentissement économique et de la hausse de leurs coûts. Les dernières nouvelles ne poussent pas à devenir plus optimiste. Sur le front de la crise énergétique, la Russie poursuit l’arrêt des flux de gaz via NordStream 1 et l’OPEP+ a annoncé une baisse des cibles de production de 100 mille barils/jour pour octobre. La situation sanitaire en Chine (extension des confinements locaux) et les mesures de soutien limitées des autorités continuent de réduire les perspectives de rebond de l’activité. Et les indicateurs PMIs d’août ont baissé de façon assez généralisée en termes de secteur et géographique, poussant le PMI composite global en zone de contraction (à 49,3pt) pour la première fois depuis mi 2020. Cela suggère un ralentissement marqué de l’économie mondiale cet été, ce qui renforce nos craintes de récession dans les pays développés pour les prochains trimestres.
- Cela dit, les marchés intègrent de nouveau pas mal de mauvaises nouvelles et le pire n’est pas certain quant aux perspectives économiques, de telle sorte qu’un positionnement totalement défensif sur les marchés ne nous semble pas requis et que nous restons prêts à augmenter notre exposition aux actifs risqués dans les prochains mois. En effet, les anticipations de politique monétaire de la BCE et de la Fed et le niveau des taux d’intérêt sont revenus à des niveaux raisonnables compte tenu des fondamentaux macro-économiques selon nous alors que les valorisations des actifs risqués sont relativement attractives après leurs récentes corrections.
- Sur l’économie, nous pensons que le scénario central reste celui d’une récession difficilement évitable mais probablement limitée en Europe, tant qu’un rationnement de l’énergie peut être évité, alors que l’économie américaine pourrait être plus résiliente que ce que nous craignons. L’indicateur ISM services américains a augmenté de façon inattendue en août et reste élevé à 56,9pt, ce qui comme les fortes créations d’emplois publiées la semaine dernière suggère que le plus gros secteur de l’économie américaine résiste encore bien.
- Dans cette note, nous revenons en détails sur la situation du gaz en Europe à l’approche de l’hiver et il apparait que si le choc de prix et la réduction nécessaire de la demande est massif, plus important que dans les années 70, un rationnement du gaz pourrait être évité. Si tel est le cas, la récession de la Zone Euro fin 2022/début 2023 pourrait rester limitée.
La Russie renforce la pression en ne rouvrant pas les vannes de NordStream1 après la maintenance de la fin de semaine dernière. Après avoir baissé légèrement jusqu’en mai et plus fortement cet été, les livraisons de gaz russe devraient être proche de zéro cet hiver étant donné que la guerre en Ukraine et que les sanctions imposées à la Russie ont peu de chance de s’arrêter dans les prochains mois. Il est quasi certain pour nous que la hausse historique des prix du gaz et l’électricité ainsi que les mesures de sobriété que les gouvernements européens imposent vont entrainer une contraction de l’activité. Mais la question est : est-ce que cette récession sera limitée ou massive ? Cela dépend grandement de si des rationnements importants seront nécessaires. Il apparait que cela ne soit pas certain.
Dans les grandes masses, l’offre de gaz à l’Europe est restée globalement stable jusqu’en mai, bien que plus cher, car la baisse des livraisons russes était modérée jusqu’à la réduction des flux de NordStream 1 en juin et que cette baisse a été compensée par la hausse des importations de gaz provenant d’autres sources, en particulier celle du gaz liquéfié (NGL) en provenance des Etats-Unis et de l’Afrique du Nord.
Mais la réduction massive des livraisons de gaz via NordStream1 (de 60% à partir de juin, 80% en juillet et quasi-totale depuis fin août) n’a pas pu être compensée par les autres sources de gaz à partir de juin, ces autres sources étant utilisées quasiment à leur capacité maximale du moment. Et ces capacités n’augmenteront que lentement et graduellement, donc le déficit de gaz va perdurer. En supposant que la Russie cesse toutes ses livraisons à l’UE et que les autres sources de gaz restent stables à des niveaux élevés, le déficit d’offre de gaz serait de l’ordre de 7 mds de m3 par mois par rapport à son niveau des dernières années (-12 mds de m3 de gaz russe que serait partiellement compensé par +5 Mds de m3 d’autres fournisseurs) soit près de 20%.
L’offre totale de gaz dans l’UE baisse nettement depuis l’été et devrait rester 15/20% sous son niveau normal cet hiver
Pourtant, malgré la baisse de l’offre totale de gaz cet été, le restockage s’est poursuivi cet été à un rythme normal. Ainsi, les stocks de l’UE ont continué d’augmenter rapidement et dépassent 80% des capacités de stockage de début septembre, ce qui est en ligne avec la moyenne historique pour cette période de l’année et bien supérieur au niveau atteint il y a un an (sous les 70%).
Le Stockage de gaz dans l’UE s’est poursuivi et atteint des niveaux satisfaisants
Cela implique que la demande de gaz a baissé de façon importante cet été. En effet, si l’on ne dispose pas encore de chiffres de consommation pour l’été, la demande implicite (i.e. l’offre de gaz moins la variation des stocks) a été près d’un tiers plus faible que lors des étés précédents selon nos calculs, ce qui représente plus de 7 mds de m3 par mois « d’économie ». C’est bien plus qu’un 1er semestre, quand la hausse des prix n’avait entraîné une baisse « que » de 5% de la demande par rapport à son niveau historique.
Cette baisse de demande cet été n’est pas venue de la demande de gaz pour produire de l’électricité et probablement pas des ménages, ces derniers consommant peu de gaz l’été et étant partiellement protégés de la hausse des prix par les nombreuses mesures fiscales. Elle est donc probablement venue principalement des entreprises et des collectivités, en partie par l’impact de la hausse des prix sur la demande mais aussi via de la baisse de la production dans certains secteurs industriels très consommateurs de gaz. En effet, beaucoup d’anecdotes montrent que notamment les producteurs d’aluminium et de métaux, ou les producteurs d’engrais ont fortement réduit, voire cessé leur production.
La demande de gaz a déjà fortement baissé cet été dans l’UE
Quid de l’hiver 2022/2023 ? Evidement une réduction de la demande par rapport à son niveau normal est nécessaire car les stocks ne couvriront pas le manque d’offre (scénario bleu foncé). Mais une poursuite de la réduction de la demande déjà observée cet été suffirait (scénario bleu clair), tout du moins si l’hiver n’est pas trop rigoureux. Cela ne serait pas indolore. Ainsi, les modèles de la BCE ou du FMI suggèrent qu’une réduction de 15% de la demande de gaz réduirait le PIB de l’UE de l’ordre de 1,5% sur un an. Certains secteurs seront même très fortement impactés. Mais cela est cohérent avec une récession gérable, surtout si l’on prend en compte de soutien budgétaire croissant des états européens. Au contraire, si des rationnements plus importants sont nécessaires, l’impact sur le PIB Européen pourrait être de l’ordre de deux fois plus important et on serait alors dans un scénario de récession sévère.
Le niveau des stocks pourrait rester « normal » si la réduction de la demande reste aussi importante que cet été