Les banques centrales ont-elles peur ?

En retard sur la normalisation des taux d’intérêt, les banques centrales ont dû et ont su accélérer la cadence à un niveau historique. Fin 2021, dans un premier temps et pendant des mois, la Réserve fédérale américaine a martelé que la hausse des prix était un phénomène transitoire, en raison notamment des problèmes d’approvisionnement et des pénuries de composants. Puis, Jerome Powell avait estimé devant la commission bancaire du Sénat que « le moment est probablement venu de ne plus utiliser le mot transitoire », et que « les risques d’une inflation plus persistante se sont accrus ». Ces propos tranchaient avec la position officielle de son homologue européen. Cela étant, la guerre en Ukraine est venue changer cette donne fragile et entretenir un mouvement finalement déjà bien ancré.

Inflation globale et core inflation
Sources : Bloomberg, Groupe Richelieu

Les banques centrales occidentales ont été à la traîne face à la hausse des prix, mais elles sont rapidement devenues des véritables combattantes de l’inflation comme en témoigne l’ensemble des interventions. 

La finalité d’une banque centrale est de maintenir la stabilité économique et financière du pays en contrôlant la masse monétaire et en influençant les taux d’intérêt. Les causes initiales du retour de l’inflation sont bien connues. Elles sont apparues post-pandémie avec les perturbations des chaînes d’approvisionnement et les plans d’investissement favorisant la transition environnementale. Puis, la guerre en Ukraine est venue perturber l’équilibre des prix des commodités, notamment ceux de l’énergie. Cet enchaînement a eu ensuite des répercussions indirectes sur les prix des biens manufacturés et des services, faisant de l’inflation un problème plus large et potentiellement persistant.

Paradoxalement, pendant près de 10 ans, les politiques monétaires étaient axées sur la lutte contre le risque de déflation, le risque souverain et la bonne transmission du système bancaire à l’économie. Cependant, maintenant que l’inflation est devenue une préoccupation majeure, les banques centrales reviennent à leur mandat initial : la lutte contre l’inflation et la stabilité économique.

La gestion des anticipations d’inflation est devenue primordiale au détriment du pilotage des agrégats monétaires[1]. Ces anticipations, émises par les marchés financiers ou les acteurs économiques, sont cruciales pour orienter les décisions sur les prix et les salaires dans le futur, et ainsi déterminer le niveau des taux d’intérêt. La crédibilité des banques centrales est ainsi fondamentale. Celle-ci doit aussi bien transparaître dans leur communication que dans leurs actions.

Leur indépendance, leur détermination sans faille et capacité à agir afin de ramener l’inflation vers 2 % sont de nombreuses variables de l’équation. La crédibilité suppose une rhétorique ferme et une communication adéquate pour éviter toute surinterprétation des marchés qui contrecarrerait les effets de la politique monétaire. En effet, prenons le cas où l’inflation commencerait à refluer, et où la communication deviendrait plus accommodante. Un tel scénario nourrirait des anticipations de desserrement monétaire et d’amélioration des conditions de crédits… Ces dernières devenant de nouveau inflationnistes et provoquant une crise plus profonde nécessitant une action plus brutale pour l’endiguer. 

L’outil essentiel, la « forward guidance[2] », utilisé par les banques centrales a d’ores et déjà été abandonné l’année dernière au vu du contexte incertain. Nous naviguons dans la situation miroir, où les autorités monétaires doivent créer l’incertitude pour éviter toute anticipation et pronostic de la part des marchés et maintenir cette fois-ci une prime de risque dans le temps. L’équilibre est précaire : éviter des volatilités excessives voire une crise et endiguer toute reprise difficilement gérable de l’inflation. En somme, la faible visibilité octroyée par les banques centrales doit être compensée par une communication ferme et transparente.

Le maintien de l’ancrage des anticipations d’inflation à moyen terme au voisinage de la cible d’inflation demeure crucial pour éviter tout changement des agents économiques auto-réalisateur. Pour l’instant, la bataille est gagnée mais la lutte est loin d’être terminée.   

Termes et définitions
1. agrégats monétaires. Les agrégats monétaires sont des mesures utilisées par les banques centrales et les autorités monétaires pour évaluer le…
2. forward guidance. La “forward guidance” est une technique de politique monétaire utilisée par les banques centrales pour communiquer leurs intentions…
Prec.
Fibee Talks : La thématique transition démographique, santé et bien-être avec Romain Dei Tos (Talence Gestion)
Suiv.
La Fed est-elle en train de réduire ou d’aggraver les inégalités ?
Plus de publications

Abonnez-vous

Abonnez-vous et recevez toutes les semaines notre newsletter économique et financière.