Les craintes de récession sont prématurées

  • Politique : En dépit de nombreuses interventions diplomatiques et des négociations entre les autorités russes et ukrainiennes, la guerre en Ukraine se poursuit avec notamment une campagne de destruction des villes ukrainiennes par un pilonnage de missiles, faute d’avancée des forces russes sur terre. Le coût humain de cette guerre semble déjà considérable. Le nombre de militaires morts, selon certaines sources, dépasserait déjà les 10 000 des deux côtés. La crise humanitaire, avec le massacre de civils et les déplacements massifs de populations, est déjà catastrophique.
  • Les craintes soulevées ces derniers jours d’une escalade du conflit par la Russie devant la difficulté d’atteindre son objectif de prise de contrôle de l’Ukraine, alimentent chez les experts militaires la possibilité de l’utilisation d’armes chimiques et du danger nucléaire. De ce fait, lors de la réunion de l’OTAN du 24 mars, des décisions auraient été prises pour se protéger contre une telle éventualité. Ceci pèse évidemment sur le marché, notamment en maintenant des prix très élevés sur les matières premières, en commençant par le pétrole.
  • Le risque du scénario du pire a sûrement gagné de nouveau en probabilité, mais reste faible, à notre avis. À ce stade, nous tablons toujours sur la possibilité d’une résolution du conflit d’ici quelques semaines ou dans les mois à venir. Mais bien évidemment, la prudence doit être de mise devant une crise aussi inédite.
  • Marchés : La guerre est évidemment toujours présente dans les dynamiques de marchés, tout comme le resserrement des politiques monétaires des deux côtés de l’Atlantique. Ce dernier a pris un rôle majeur dans l’évolution du marché obligataire avec une remontée spectaculaire des taux d’intérêt sur toutes les maturités des courbes souveraines en Europe et aux Etats-Unis. En moins d’un mois, les taux à dix ans en Europe comme outre Atlantique ont gagné plus de 60 points de base. Les parties les plus courtes, subissant plus fortement les effets de l’accélération de l’inflation et des anticipations de hausses de taux directeurs des banques centrales, sont monté plus rapidement. Ceci a conduit nombre d’observateurs à s’interroger sur le risque d’une erreur de politique monétaire, pouvant engendrer une récession. En effet, l’inversion de la courbe des taux, c’est-à-dire que les taux d’intérêt à court terme dépassent celle de long terme, ce qui arrive peu fréquemment, a une relation statistique assez forte avec une possible contraction de l’activité économique, ou récession, à venir.
  • À ce stade, il nous semble bien prématuré de penser qu’une récession est imminente. Aux Etats-Unis, les derniers chiffres sur l’état de l’activité donnés par les PMI[1] produits par S&P aux Etats-Unis montrent que l’activité reste très résiliente et le marché de l’emploi reste solide, comme le montre les très faibles destructions d’emplois qui peuvent être déduites des demandes d’indemnisation de chômage qui sont au plus bas. En outre, il faut rester prudent sur le message donné par la courbe des taux.
  • En même temps, il nous semble que la bataille que veulent mener les banques centrales contre l’inflation est évidemment rendue très difficile dans le contexte d’incertitude engendré par la guerre en Ukraine et le choc d’offre que celle-ci a induit avec la poussée des prix des matières premières, en commençant par le prix du pétrole. Il est probable, notamment aux Etats-Unis en faisant l’hypothèse que la crise s’apaise, que la Fed devra monter ses taux bien davantage que ce qui est anticipé aujourd’hui afin de calmer les tensions sur les prix. Le marché ne veut pourtant pas le croire. Il continue de courir d’arrière un taux « terminal », c’est-à-dire le point haut du taux directeur, qui ne cesse de monter.
  • Dans leur démarche, lutter contre l’inflation et préserver la croissance ne sera pas facile pour les banques centrales. C’est tout le défi de la politique monétaire aujourd’hui : une situation presque inédite depuis plusieurs décennies.
  • Cela serait notamment une erreur que de frapper trop fort avec la politique monétaire si la crise persiste et que les prix des matières premières restent très élevés, voire ne montent davantage. En effet, la « taxe » sur les ménages et les entreprises que constitue la hausse des prix des matières premières, en particulier ceux de l’énergie, est par définition une source de contraction de l’activité économique en rognant par exemple le pouvoir d’achat des ménages. Les mois à venir forceront les banques centrales à un dilemme sûrement difficile. La prudence devra l’emporter si l’impact de la hausse des prix des matières premières commence à affaiblir nos économies rapidement.
  • Dans ce contexte, la prudence doit rester de mise sur les expositions de marché. La hausse des taux d’intérêt doit tout de même continuer à inciter à chercher des titres sous-valorisés, mais avec de la résilience dans leurs perspectives de croissance ou de génération de résultats. En outre, dans un contexte de hausses des coûts, la recherche d’entreprises en mesure de les faire passer à leurs clients constituera un facteur protecteur.

Pour l’instant, l’activité aux Etats-Unis et Europe semble résister aux premiers effets de la crise à en croire les dernières enquêtes préliminaires de PMI pour le mois de mars. En effet, les PMI restent à des niveaux élevés des deux côtés de l’Atlantique, reflétant la persistance d’une activité économique toujours robuste. Néanmoins, alors qu’aux Etats-Unis, l’activité aurait accéléré, en Zone Euro elle continue de ralentir, mais reste tout de même élevée.

Aux Etats-Unis, l’activité aurait accéléré assez fortement en mars, que ce soit dans les secteurs manufacturiers comme dans celui des services. Ce dernier aurait donc définitivement tourné la page de l’épisode Omicron. En outre, l’enquête révèle que le marché de l’emploi reste très solide avec des gains très importants dans les indices dans ce domaine. Évidemment, il faut rester prudent, car nous n’avons ici que les premiers effets de la crise. On ne verra l’impact des hausses des prix de l’énergie que graduellement sur le comportement de consommation des ménages. Mais ces statistiques, devraient conforter la Fed dans sa trajectoire de resserrement monétaire, et amoindrir les craintes d’un affaiblissement brutal de l’activité économique à courte échéance.

Etats-Unis : l'économie résiste aux premiers effets de crise

En Zone Euro, l’impact de la guerre en Ukraine semble se faire sentir plus fortement. Ainsi, le rebond de l’activité avec la fin de l’épisode Omicron semble avoir été sapé par les incertitudes liées à la guerre et les fortes hausses des prix. Néanmoins, étant donné le niveau des indices, la situation économique reste relativement robuste. Il est évident que la crise est en train d’avoir un impact sur la confiance, plus elle durera plus on doit craindre une décélération plus prononcée de l’activité à venir, d’autant plus si la situation sur le plan énergétique venait à se détériorer.

Zone Euro : l'activité décélère mais reste robuste

La montée brutale des prix des matières premières et des annonces plus dures qu’anticipées des banquiers centraux des deux côtes de l’Atlantique fait craindre à certains la possibilité d’une entrée en récession. En particulier, aux Etats-Unis, la courbe des taux sur les obligations souveraines (Treasuries) a souvent été un indicateur très fiable pour anticiper une future récession. En effet, une inversion de la courbe des taux, c’est-à-dire quand les taux sur les maturités les plus courtes deviennent supérieurs à ceux plus longues, a souvent précédé les récessions outre-Atlantique.

Aujourd’hui, l’écart entre le taux à deux ans et celui à dix ans n’est que d’une vingtaine de points de base. Ainsi, pour certains, une récession pourrait se trouver à l’horizon. Comme d’autres récessions par le passé, elle serait la conséquence d’une banque centrale qui aurait dû resserrer trop sa politique monétaire, soit pour contrer la hausse de l’inflation, soit pour lutter contre des déséquilibres financiers. En général, cette inversion de la courbe touche l’ensemble des parties courtes, et refléterait l’idée que les taux directeurs de la banque centrale sont allés trop haut et que la restriction du crédit qu’elles induisent pourrait provoquer une récession et sûrement la nécessité d’un renversement de ce mouvement, soit des baisses des taux dans l’avenir.

Il se trouve que l’écart entre le taux à 10 ans et celui à 3 mois reste élevé, et même comme on pouvait s’y attendre, au vu des mouvements récents, s’est même accru. Le message ici serait que le durcissement de la politique monétaire à ce stade n’est pas susceptible d’engendrer une récession imminente.

Etats-Unis : la courbe des taux envoie le signal que le risque de récession serait encore loin en 2024

Il reste la possibilité qu’une récession puisse arriver dans les deux années qui viennent. Ceci est évidemment possible. Aussi, une erreur de politique monétaire ne peut pas être exclue. Mais à ce stade, il est prématuré d’en arriver à une telle conclusion.

À fin février, le modèle de prévision des probabilités de récession de la Fed de New York nous donnait un résultat très faible. Il est certain que celle-ci a dû augmenter au cours du mois de mars, mais à notre avis, ce risque reste faible dans les trimestres, voire dans l’année à venir, avec l’hypothèse d’un apaisement de la crise actuelle.

Etats-Unis : la probabilité de récession encore faible mais probablement en hausse

Une autre variable encore plus fiable, et de plus court terme, est celle de l’évolution de l’emploi. Pour l’instant, comme on le constate dans les statistiques récentes, on est encore loin d’un basculement en récession.

Termes et définitions
1. PMI ( PMI ) L'indice PMI (Purchasing Managers' Index) est un indicateur mensuel qui mesure la performance des secteurs de l'industrie manufacturière et des services.
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