Nous pensons que les taux d’intérêt américains atteindront la fourchette 3,25 %-3,50 % d’ici la fin de l’année 2022 alors que la Réserve fédérale essaie d’orchestrer un ralentissement majeur de l’économie, voire d’anticiper une récession, et ce afin de modérer l’inflation. La BCE adoptera probablement une stratégie moins agressive. Sur les différents segments obligataires, les obligations « périphériques » de la zone euro pourraient sous-performer. Quant aux spreads des obligations asiatiques, ils pourraient se normaliser.
- Les obligations souveraines ont subi leur plus forte correction depuis des années
- La courbe des taux des bons du Trésor américain s’est rapidement aplatie
- Les points morts d’inflation se sont élargis aux États-Unis en raison de la demande soutenue de titres protégeant contre l’inflation
- Les courbes de taux des titres souverains se sont pentifiées en zone euro
- Les spreads des obligations souveraines des pays « périphériques » se sont élargis en anticipation de la fin des achats d’actifs de la BCE.
Attention, la Fed va donner un coup de frein
Aux États-Unis, l’inflation s’est propagée au-delà des produits de base et touche désormais les services. Contrairement à la Réserve fédérale, nous avons du mal à comprendre comment l’inflation pourrait se rapprocher de son objectif si la croissance ralentit à peine et renoue avec sa tendance. Les relèvements qui vont être mis en place afin que les taux directeurs renouent avec la neutralité semblent insuffisants pour lutter contre l’inflation, ralentir la croissance (ce qui réduirait les goulets d’étranglement au niveau de l’offre) et alléger les pressions salariales.
Selon nous, la Fed devrait porter ses taux en territoire restrictif. Nous prévoyons donc plusieurs hausses de 50 pb d’ici le reste de l’année 2022. De nouveaux relèvements sont possibles en 2023, en fonction de la persistance de l’inflation et de la résistance de l’économie aux conséquences du conflit entre l’Ukraine et la Russie. Cette trajectoire potentielle des taux directeurs est nettement plus agressive que celle que nous avions prévue dans nos perspectives du premier trimestre.
Nous pensons que la Fed doit organiser un ralentissement économique majeur pour ramener les pressions salariales à un niveau compatible avec son objectif d’inflation de 2,0 %. Les rendements réels à terme (à 5 ans dans 5 ans) devraient augmenter de 75 pb et s’établir à 150 pb. La Fed devra donc appuyer plus fort sur le frein monétaire.
Concernant son bilan, la Fed va probablement accélérer ses efforts afin de repasser d’un portefeuille d’open market à un portefeuille en titres d’État. Toutefois, il convient de garder à l’esprit que ramener le bilan à ses niveaux du début de l’année 2020 (avant la pandémie) nécessiterait cinq à six ans et que, dans l’intervalle, l’excès de liquidités pourrait continuer à peser sur les primes de risque, y compris les primes de terme des bons du Trésor.
Autre question : comment le Trésor américain va-t-il procéder pour accroître ses financements, lesquels auraient dû être fournis par la Fed ? Nous pensons qu’il va probablement axer ses émissions sur des titres à court terme, qui sont très prisés par les fonds monétaires. En outre, la demande en bons du Trésor à long terme de la part des fonds de pension a été soutenue du fait de l’amélioration de leur solvabilité.
S’agissant des perspectives d’inflation, nous pensons que la flambée des prix des matières premières pourrait ne pas complètement s’inverser. Les confinements à Shanghai et dans d’autres grands ports et villes chinoises créent également de nouveaux risques inflationnistes. L’envolée des prix de l’énergie a mis en exergue les pressions inflationnistes structurelles induites par la transition vers les énergies durables et le phénomène de démondialisation. Ces tendances justifient une prime sur les points morts d’inflation.
La BCE fait preuve d’une prudence accrue
La zone euro pourrait également être confrontée à une augmentation des prix de l’énergie et des matières premières et à une inflation plus élevée. Le taux d’inflation pourrait s’accélérer pour atteindre 7 % à 8 %, avant de retomber à un niveau plus proche de l’objectif de 2 % de la BCE fin 2023 ou début 2024, lorsque l’impact de la hausse rapide des prix de l’énergie se dissipera.
Les tensions sur le marché du travail et le niveau élevé de l’inflation devraient soutenir la croissance des salaires cette année. Des risques de baisse ne sont toutefois pas à exclure. Les entreprises doivent composer avec la hausse des prix de production et les pressions sur leurs marges, alors que les tendances pesant sur la croissance pourraient réduire le pouvoir de négociation des syndicats. Le conflit Russie/Ukraine pourrait quant à lui freiner la croissance et le marché du travail.
Face à une inflation durablement plus élevée, la BCE a choisi de normaliser sa politique. Toutefois, un sentiment d’urgence pourrait bientôt se concrétiser et imposer à la BCE de donner des indications plus concrètes sur son calendrier de relèvement des taux d’intérêt.
Nous sommes assez d’accord avec les prévisions selon lesquelles la BCE débutera son cycle de resserrement au second semestre 2022. Cependant, compte tenu de la détérioration du sentiment économique, des entreprises et des ménages, la BCE hésitera probablement à intervenir, notamment par rapport au durcissement orchestré par la Fed pour juguler les mesures budgétaires et les pressions inflationnistes de plus en plus intenses et endogènes.
À court terme, les obligations des pays « périphériques » de la zone euro pourraient sous-performer. L’Italie et l’Espagne disposent d’un levier budgétaire réduit pour faire face aux conséquences économiques de la crise ukrainienne, alors que l’arrêt des programmes d’achat d’actifs de la BCE mettra les obligations « périphériques » sous pression. À plus long terme, la solidarité budgétaire européenne et la volonté de la BCE de lutter contre le risque de fragmentation Nord-Sud devraient limiter l’écartement des spreads.
En valeur relative, nous pensons que les Gilts britanniques vont surperformer les bons du Trésor américain en raison des perspectives de croissance divergentes entre le Royaume-Uni et les États-Unis. La compression des revenus réels et le resserrement de la politique monétaire vont probablement ralentir l’économie britannique, réduire les prévisions d’inflation et limiter la nécessité de relever agressivement les taux.
Obligations d’entreprises – Nous sommes positifs sur le haut rendement européen
Les obligations d’entreprises investment grade ont évolué comme lors des cycles de hausse des taux précédents : elles ont sous-performé les mois précédant le premier relèvement mais aussi immédiatement après (cf. Graphique 1). Cette fois-ci, sa sous-performance a été plus marquée en raison de valorisations élevées, de spreads déjà faibles et du conflit en Ukraine qui suscite des inquiétudes quant aux perspectives de croissance.