Nous souhaitons que nos perspectives d’investissement 2023 vous accompagnent alors que l’économie mondiale est à un moment charnière où une inflation élevée et des évolutions géopolitiques majeures constituent des défis pour les investisseurs, les banquiers centraux et les gouvernements.
Synthèse
MACROÉCONOMIE ET MARCHÉS
Ces sections mettent en évidence que :
- L’économie mondiale est au bord de la récession dans un contexte d’envolée des taux directeurs, l’Europe est confrontée à un choc énergétique, et la Chine se débat avec sa politique « zéro-covid » et des marchés immobiliers fragiles.
- Le gouvernement chinois dispose d’une marge de manœuvre pour stimuler la croissance, mais en Occident, les mesures publiques d’aide aux ménages et aux entreprises risquent de compromettre la lutte contre l’inflation menée par les banques centrales.
- Les actions ont du mal à générer des performances supérieures à leur moyenne, même si le décalage entre les prévisions de bénéfices des entreprises, encore relativement optimistes, et la réalité économique est en train de se réduire. Notre positionnement est neutre puisque l’extrême prudence à l’égard du marché européen est compensée par notre optimisme à l’égard des valeurs de croissance américaines. • Au sein de la poche obligataire, le crédit Investment grade[3] de la zone euro offre l’opportunité la plus attrayante, avec des spreads importants mais des fondamentaux d’entreprise généralement bien orientés.
UNE REPRISE DURABLE
Dans le cadre de la transformation verte en cours, nous sommes convaincus qu’en tant qu’investisseurs, nous devons continuer à concentrer nos ressources sur une croissance durable à long terme. Nous entrevoyons par exemple des opportunités dans le virage en direction de l’hydrogène vert[4], de la restauration du capital naturel ou de la construction d’infrastructures vertes.
DES THÈMES D’INVESTISSEMENT POUR LE LONG TERME
Nos thèmes possèdent un angle durable – transition énergétique et développement durable – et privilégient les tendances durables. Ces tendances comprennent l’innovation et les transformations liées aux nouvelles technologies, l’attrait des marchés privés et l’émergence de la Chine. Bien qu’une réévaluation significative des actions chinoises A soit peu probable à l’heure actuelle, les valorisations semblent attrayantes et plaident en faveur d’un positionnement stratégique. Parmi les opportunités, citons l’amélioration de la consommation et le développement de la « hard tech ».
Macroéconomie et marchés
La récession en marche
L’économie mondiale semble se diriger tout droit vers une récession. Les causes sont bien connues : relèvement agressif des taux directeurs par les banques centrales pour réduire l’inflation, crise énergétique en Europe, politiques « zéro COVID » et difficultés du marché immobilier en Chine.
Une grande partie de l’Europe est déjà en proie à une récession, qui pourrait, selon nous s’étendre aux États-Unis au troisième trimestre 2023. Et si la croissance chinoise ne devrait pas basculer en territoire négatif, elle sera inférieure à ses niveaux historiques.
On peut aisément imaginer comment la situation pourrait encore s’aggraver : l’effondrement d’un segment majeur des marchés financiers sous l’effet de la hausse rapide des taux d’intérêt, un hiver rigoureux et des pannes d’électricité en Europe ou encore une intensification des tensions géopolitiques.
États-Unis
Compte tenu de la vigueur du marché du travail américain, qui se traduit non seulement par un faible taux de chômage, mais aussi par des gains salariaux (nominaux) élevés, des baisses du nombre d’emplois non agricoles en 2023 seront probablement nécessaires. La demande des consommateurs s’affaiblira, même si les ménages disposent encore d’un important excès d’épargne. Cette épargne s’amenuise et, notons-le, elle est concentrée parmi les ménages à hauts revenus et à faible consommation.
La détérioration du marché du travail sera essentielle pour maîtriser la hausse des prix des services. La hausse des prix des produits devrait diminuer grâce aux effets de base et au recul de la demande, tandis que le coût du logement finira par refléter le ralentissement actuel du marché immobilier. Selon nous, le taux d’inflation des dépenses de consommation personnelle de base (PCE[6]) passera sous la barre des 3 % d’ici fin 2023. Une question demeure ouverte : l’inflation des salaires peut-elle être endiguée sans une forte augmentation du taux de chômage. Le nombre d’emplois vacants par rapport à la taille de la population active est encore environ deux fois supérieur à la moyenne à long terme1, ce qui signifie que les entreprises sont obligées d’augmenter les salaires pour attirer des collaborateurs (voir graphique 1). Historiquement, les postes vacants ne diminuent sensiblement que lorsque le taux de chômage augmente. La Réserve fédérale américaine estime que le nombre actuellement élevé de postes vacants reflète la réorganisation du marché du travail et de l’économie suite à la pandémie. À la fin de ce processus, les postes vacants pourraient diminuer sans que le taux de chômage n’augmente nécessairement.
Il existe une autre raison pour laquelle le taux de chômage pourrait ne pas augmenter de façon significative. Les entreprises américaines ont appris de la récession due aux périodes de confinement que le licenciement des employés peut réduire les coûts à court terme, mais qu’il crée des problèmes par la suite. Elles pourraient s’orienter vers un modèle plus européen, où les employés sont maintenus en poste pendant la récession, ce qui permet une reprise plus rapide et plus fluide par la suite.
Les investissements en cours déclenchés par l’Infrastructure Investment and Jobs Act et l’Inflation Reduction Act[1], qui alloueront près de 400 milliards de dollars de crédits d’impôt et de subventions à de nombreux programmes d’énergie propre, compenseront l’effet de la hausse des taux directeurs.
Zone euro
L’Europe est confrontée à un choc énergétique comme la région n’en a pas connu depuis les hausses de prix de l’OPEP[7] dans les années 1970 (graphique 2). Même si les prix du gaz ont baissé ces derniers temps, ils restent 10 fois plus élevés que la moyenne de 2019.
L’inflation dépasse les 10 % dans certains pays, le sentiment des ménages s’est détérioré et la demande s’affaiblit en même temps que le revenu disponible. Néanmoins, nous pensons que l’inflation globale a atteint un pic et qu’elle redescendra au niveau de l’objectif de la BCE (2 %) en 2024.
La réponse des gouvernements aux chocs économiques a changé depuis la pandémie. Au lieu de compter sur les stabilisateurs automatiques tels que l’assurance chômage destinée à aider les ménages à traverser la crise, les gouvernements ont eu recours à des aides plus directes pour atténuer les baisses de revenus (ou de bénéfices des entreprises).
Cette stratégie était relativement simple durant la pandémie, car les taux directeurs et l’inflation étaient bas et les banques centrales achetaient des emprunts d’État. L’expérience récente du Royaume-Uni montre cependant les limites de ces politiques, maintenant que l’inflation est bien au-dessus de l’objectif et que les banques centrales cherchent à réduire la taille de leurs bilans. Si l’Allemagne peut se permettre un plan de soutien de 200 milliards d’euros, d’autres pays ne sont pas dans ce cas. Lorsque les rendements des emprunts d’État italiens étaient supérieurs à 4 % avant la crise financière mondiale, la dette du pays était inférieure de quelques points de pourcentage à son PIB. Elle est aujourd’hui supérieure de 40 %. En 2022, les ratios dette-PIB se sont néanmoins améliorés, mais en 2023, ils risquent de se détériorer. Les gouvernements devront veiller à ce que les dépenses supplémentaires soient ciblées afin d’éviter une réaction compensatoire à toute mesure de relance de la BCE.
Le plan de relance NextGenerationEU de 2 000 milliards d’euros (le plus grand plan de relance de l’UE jamais mis en place) sera essentiel pour créer une Europe « plus verte, plus numérique et plus résiliente ».
Chine
Les deux facteurs qui ont pesé sur la croissance chinoise en 2022 – la politique zéro Covid et l’instabilité du marché immobilier – devraient s’atténuer en 2023 et permettre à l’économie de rebondir, même si la croissance restera probablement inférieure à son niveau antérieur à la pandémie.
Le nombre de cas d’infections à la Covid en Chine est reparti à la hausse. Néanmoins, le gouvernement a réitéré son engagement envers sa politique zéro Covid. Dans le même temps, les travaux sur un vaccin à ARN messager progressent et une campagne de vaccination devrait finir par être organisée. Nous savons maintenant par expérience que l’activité économique peut repartir rapidement une fois les restrictions levées.
En revanche, les problèmes du marché immobilier seront probablement plus longs à résoudre. Il est ressorti du récent congrès du parti communiste qu’une politique à plus long terme allait être mise en place, qui permettrait de développer un système de logement garantissant une offre provenant de sources multiples et le développement des marchés de la location et de la vente de biens. À court terme, le gouvernement envisage des mesures ciblées pour soutenir la reprise du secteur.
Le discours du président Xi Jinping lors du congrès du Parti a également été marqué par sa volonté d’accélérer la transition vers un développement écologique et d’atteindre les objectifs en matière d’émissions de carbone. Cela devrait constituer une nouvelle source de demande à long terme pour les entreprises des secteurs concernés.
L’une des principales différences entre la Chine, les États-Unis et l’Europe réside dans la marge de manœuvre dont disposent leurs gouvernements respectifs pour stimuler l’économie, que ce soit grâce à des mesures budgétaires ou monétaires. Alors que l’inflation sous-jacente[2] est supérieure à 4 % dans la zone euro et à 6 % aux États-Unis, elle n’est que de 0,4 % en Chine (graphique 3)2.
Marchés – Bilan
L’année 2022 a été extraordinaire, marquant la fin d’une décennie et demie tout aussi extraordinaire depuis la crise financière mondiale. Une hausse brutale et rapide des taux d’escompte réels a provoqué des pertes considérables parmi l’ensemble des classes d’actifs, mettant un terme à la panacée qu’a constitué l’environnement de taux d’intérêt durablement bas pour les actifs risqués pendant plusieurs décennies.
Par exemple, un investisseur détenant un portefeuille composé à 60 % d’actions internationales et à 40 % d’emprunts d’État affichait des pertes de 20 % à fin octobre. On est loin des gains de 9 à 10 % auxquels il aurait pu s’habituer ces 50 dernières années. Ces pertes sont les plus lourdes enregistrées depuis de très nombreuses années, y compris en 2008, où les pertes ne s’élevaient « seulement » qu’à 14 %.
Comme d’autres, nous avions considéré cette forte hausse des rendements réels comme le principal risque auquel seraient confrontés les marchés financiers en 2022. Pendant l’essentiel de l’année 2022, nous avions opté pour des positions courtes en duration, neutres en actions (du fait du positionnement long sur les valeurs asiatiques et court sur les valeurs européennes) et longues sur les matières premières. Pourtant, étant donné que les rendements des obligations souveraines, en particulier les rendements réels, se sont rapidement rapprochés de leurs pics enregistrés après la crise financière, nous avons pris nos bénéfices sur notre exposition courte de longue date sur les emprunts d’État.
L’une des principales questions que nous nous posons à l’approche de 2023 est de savoir dans combien de temps les banques centrales vont interrompre, voire inverser, leurs hausses des taux d’escompte et quel impact cela aura sur la valeur des flux de trésorerie dans toutes les classes d’actifs. Il est certain qu’en 2022, la plupart des mouvements sur les marchés d’actifs s’expliquent par les variations du taux d’escompte.
Nous sommes désormais plus optimistes à l’égard du crédit, en particulier les émissions européennes les mieux notées. Dans ce domaine, nous considérons que les faibles valorisations (c’est-à-dire les spreads élevés) ne reflètent pas exactement ce que nous estimons être des fondamentaux favorables. Nous ne sommes pas encore prêts à investir davantage dans des actifs plus risqués tels que les actions. Nous craignons toujours une baisse plus importante de la croissance et des bénéfices, et l’incertitude géopolitique persistante pourrait peser davantage sur les projections de flux de trésorerie. Dans le même temps, nous observons que certains secteurs, notamment les sociétés technologiques américaines à duration longue, deviennent attrayants à l’approche de cette fin d’année.
Chaque risque a son prix
Les opinions d’investissement reposent généralement sur quelques idées maîtresses. Actuellement, trois enjeux sont susceptibles d’avoir un impact marqué sur les perspectives de performance pour 2023.
- Quand la Réserve fédérale américaine et les autres grandes banques centrales vont-elles infléchir leur politique de relèvement des taux d’intérêt ?
- Quelle sera l’ampleur de la correction de la croissance et des bénéfices ?
- (La plus grande inconnue) Quelle sera l’ampleur des perturbations géopolitiques causées par la Chine, la Russie et l’Ukraine, les États-Unis et l’Europe (y compris le Royaume-Uni) en 2023 ?
Jusqu’à présent, c’est la Fed qui a resserré sa politique monétaire le plus rapidement. Quand va-t-elle marquer une pause pour permettre aux effets des relèvements de taux de se faire sentir dans le système, en évitant de commettre l’erreur d’appuyer trop brutalement sur la pédale de frein ? Dans l’ensemble, nous pensons que la probabilité d’un changement de politique plus net augmente, et même assez rapidement.
En 2022, les taux d’intérêt, réels et nominaux, actuels et implicites, ont augmenté de manière spectaculaire dans les principaux pays. Si cette hausse s’est produite sur l’ensemble de la courbe, elle a été particulièrement marquée sur les taux courts. La hausse de 500 pb des taux réels à 2 ans depuis mars a été spectaculaire, tout comme l’évolution du niveau attendu des Fed funds[5] en 3 ans, qui est passé de 1,5 % à 5 % en six mois seulement. Les taux réels à 5 ans (dans 5 ans), que beaucoup considèrent comme un guide à long terme pour les taux directeurs « neutres », sont passés de leurs niveaux d’il y a 50 ans à des niveaux que nous n’avions pas observés depuis avant la crise financière mondiale. Ils s’établissaient à seulement -85 pb aux États-Unis et -1,4 % en Europe il y a un an, alors qu’au moment de la rédaction du présent rapport, ils étaient respectivement de 1,50 % et 1,25 %. Ces niveaux s’expliquent notamment par le changement significatif des politiques budgétaire/monétaire, par un revirement des tendances structurelles telles que la mondialisation qui avait préservé la tendance à la baisse des emprunts d’État, et par une démographie favorable. Mais il y a aurait de bonnes raisons pour qu’ils marquent le pas, puisque l’on observe des freins de plus en plus marqués pour l’inflation et la croissance.
La persistance d’une inflation élevée a mis à l’épreuve la crédibilité des banques centrales, les obligeant à fixer les taux d’intérêt avec un œil dans le rétroviseur. Toutefois, les taux directeurs effectifs sont désormais évalués de manière à atteindre un niveau assez restrictif de 5,0 à 5,5 % aux États-Unis3 et de 2,25 % en Europe d’ici la mi-2023, au moment même où la croissance et l’inflation marquent le pas en raison du resserrement déjà mis en œuvre dans le système. Nous pensons qu’une pause dans les relèvements de taux (qui ont été la principale source de faiblesse des prix des actifs en 2022), pourrait offrir un certain répit aux actifs risqués. La question est de savoir dans quelle mesure.
Maintenir un positionnement long sur les titres de crédit européens les mieux notés à des niveaux de valorisation relativement faibles nous semble encore attrayant. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les spreads de taux retrouvent leurs niveaux de la crise de 2020 pour les crédits européens les mieux notés, avec un taux de défaut implicite d’environ 10 %. C’est plus de deux fois le taux le plus négatif sur cinq ans et huit fois le taux moyen. En outre, et de manière inhabituelle à ce stade du cycle, les ratios d’endettement de ces entreprises sont contenus et en baisse, la couverture des intérêts est élevée et les bilans des entreprises sont solides. La pression exercée sur les entreprises pour qu’elles réduisent leur endettement, ce qui a généralement une incidence sur le crédit lorsque les cycles économiques se contractent, est manifestement absente cette fois-ci, les entreprises entrant dans une récession potentielle avec des liquidités abondantes et des titres de dette à duration plus longue.
Cela nous amène à la deuxième question soulevée ci-dessus : l’ampleur de la correction de la croissance à venir et l’état des bilans des ménages, alors que l’année 2022 s’achève sur une inflation à deux chiffres. Cet environnement nous rend plus prudents, notamment en ce qui concerne les bénéfices. Par conséquent, nous nous détournons de l’investissement dans les actifs situés dans la partie basse de la structure du capital, notamment les actions, dans des régions plus difficiles comme l’Europe.
Nos experts économiques s’attendent à ce que les États-Unis perdent trois millions d’emplois début 2023, avec une baisse du nombre de créations d’emplois de 300 000 ou plus. Le marché du logement devrait continuer à s’affaiblir. Nous anticipons des taux hypothécaires près de 400 pb plus élevés qu’à l’été 2021 et des demandes de prêts hypothécaires en forte baisse. Les perspectives économiques de l’Europe sont tout aussi médiocres, avec des risques de baisse plus importants liés à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique, et des ménages disposant d’un matelas d’épargne moins fourni. Nous connaissons depuis la crise financière mondiale l’impact d’un marché immobilier en déclin sur la croissance, et nous subissons désormais l’effet supplémentaire de la rigidité et de la hausse des loyers sur l’inflation des services.
Cet environnement macroéconomique de plus en plus fragile semble profondément déconnecté des prévisions de bénéfices relativement optimistes des entreprises. Par conséquent, nous affichons un positionnement globalement neutre sur les actions, notre vision très prudente sur l’Europe étant contrebalancée par davantage d’optimisme à l’égard de la Chine et du Japon. Alors que les actions ont enregistré une baisse de plus de 10 % de la performance totale en 2022, et que les valorisations se sont dépréciées par rapport aux pics atteints en janvier 2022, les pertes auraient été plus importantes sans les prévisions de croissance positive des bénéfices pour 2022 et 2023.
Les prévisions de bénéfices sont au mieux un indicateur concomitant, mais elles sont trop élevées pour le contexte macroéconomique que nous venons de décrire. Nous disposons de plusieurs cadres de réflexion nous permettant de savoir où les bénéfices et les valorisations devraient se situer à différents moments du cycle. À l’exception de l’Asie et, plus récemment, de l’indice Nasdaq américain, nos recherches indiquent que d’autres baisses sont à prévoir – tant du fait de la baisse des valorisations que des bénéfices – avant d’atteindre la juste valeur.
Quelle sera l’ampleur des perturbations géopolitiques en 2023 ?
Enfin, les risques géopolitiques assombrissent l’horizon d’investissement. C’est un facteur que nous surveillerons de près en 2023. L’évolution de la guerre en Ukraine et la crise énergétique, l’approche de la Chine vis-à-vis de Taïwan et la réouverture de son économie, les guerres commerciales et leur impact sur les chaînes d’approvisionnement : chacune de ces évolutions pourrait modifier la trajectoire des flux de trésorerie et des taux d’escompte. Aucune solution rapide n’étant en vue, les risques devraient rester élevés.
FOCUS SUR LES MARCHÉS OBLIGATAIRES : Une nouvelle ère obligataire
Les obligations ont signé des performances d’une médiocrité sans précédent en 2022, tous les secteurs clés affichant une performance négative (au 10 novembre 2022) en raison de la normalisation des taux directeurs, de la récession qui a nui aux spreads de crédit et des chocs de liquidité qui ont favorisé la volatilité. Après un cycle haussier de plus de 50 ans, une nouvelle ère obligataire est en train d’émerger, dans laquelle il est désormais possible de générer une performance absolue positive.
Les banques centrales sont parvenues à ramener les taux d’intérêt à des niveaux normaux, et ne devraient pas avoir besoin de les relever de manière significative à compter de maintenant. Les rendements réels à cinq ans dans cinq ans aux États-Unis et dans la zone euro ont retrouvé les niveaux affichés après la crise financière mondiale. Par conséquent, le portage sera essentiel pour générer de la performance à l’avenir. Les investisseurs doivent garder à l’esprit qu’historiquement, le portage représente l’essentiel de la performance obligataire totale. La transition vers cette nouvelle ère n’est cependant pas terminée, ce qui signifie que la volatilité restera probablement élevée et que l’allocation d’actifs demeure cruciale. L’année 2023 sera marquée par une décélération puis une accélération de la croissance et de l’inflation, ce qui nécessitera des allocations différentes en fonction de l’environnement macroéconomique.
Toute performance obligataire doit privilégier les actifs stratégiques tels que les instruments du marché monétaire, les emprunts d’État et le crédit Investment grade, tout en diversifiant les investissements satellites dans les obligations flexibles, les obligations vertes et la dette émergente.
Il est intéressant de réinvestir sur les marchés monétaires, car ils offrent de la visibilité grâce à leur duration courte, et désormais des rendements attrayants compte tenu de la hausse significative des taux courts. Nous pourrions assister à une baisse des taux directeurs aux États-Unis d’ici fin 2023, bien que cela soit moins probable dans la zone euro. Nous sommes convaincus que le crédit Investment grade est attractif dans la zone euro car, au moment où nous rédigeons ces lignes, les spreads correspondent à des taux de défaut beaucoup plus élevés que ceux que nous anticipons.
Investissement reponsable
L’évolution de la finance responsable
Début 2005, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, avait invité un groupe composé des plus grands investisseurs institutionnels du monde à participer à l’élaboration des Principes pour l’investissement responsable (PRI). Seulement quelques années plus tard, les excès d’un système financier peu réglementé allaient déclencher une crise économique mondiale tout en mettant à mal bon nombre des modèles financiers utilisés jusqu’alors. Rétrospectivement, il s’agissait du moment idéal pour que la finance commence à prendre conscience de certains des excès comportementaux qu’elle autorisait aux entreprises. Depuis lors, nous avons assisté à une multiplication par dix des réglementations relatives à l’investissement durable. Dans cet article, nous analysons cette évolution et le chemin qui reste à parcourir.
La grande crise financière a soulevé d’importantes questions sur le rôle de la finance. Le secteur a longtemps interprété son devoir fiduciaire envers ses clients comme une obligation de « maximiser » la performance financière des « bénéficiaires », le plus souvent à un horizon de quelques trimestres, voire quelques années.
Depuis 2005, le débat fait rage au sein du secteur quant à l’impact de l’intégration de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG[8]) dans cet exercice. La discussion a été perturbée par des débats parallèles portant sur l’horizon d’investissement idéal pour maximiser la performance et pour le compte de quels bénéficiaires.
En 2005, la recherche disposait de peu d’éléments permettant de comprendre l’impact financier des considérations ESG. Depuis, notre compréhension a énormément progressé. Il reste beaucoup d’efforts à faire pour intégrer les critères ESG avec l’exigence et la justesse nécessaires au sein des portefeuilles.
Critères ESG et performance des investissements
Ce que nous pouvons désormais affirmer avec un certain degré de certitude, c’est que l’intégration des critères ESG – à l’échelle des entreprises et des fonds – conduit le plus souvent à de meilleures performances financières. Grâce en grande partie aux efforts des PRI et d’autres regroupements internes au secteur, le chapitre sur l’obligation fiduciaire a été refermé. Les investisseurs contrôlant plus de 100 000 milliards de dollars d’encours ont accepté au plus haut niveau cette préface aux six Principes d’investissement responsable :
« En tant qu’investisseurs institutionnels, nous avons le devoir d’agir dans le meilleur intérêt à long terme de nos bénéficiaires. Dans ce rôle fiduciaire, nous pensons que les questions environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise (ESG) peuvent affecter la performance des portefeuilles d’investissement (à des degrés divers selon les entreprises, les secteurs, les régions, les classes d’actifs et l’horizon d’investissement). Nous reconnaissons également que l’application de ces principes peut permettre de mieux aligner les objectifs des investisseurs sur ceux de la société au sens large. »
Si le secteur de la gestion d’actifs est d’accord sur le principe, il reste beaucoup d’efforts à faire pour intégrer les critères ESG avec l’exigence et la justesse nécessaires au sein des portefeuilles. L’écart entre la volonté et la réalité concentre l’essentiel des critiques récentes à l’égard des problématiques ESG, qui portent sur les affirmations trompeuses de certains investisseurs – également connues sous le nom d’éco-blanchiment – et de la confusion des données correspondantes. Les organismes de régulation ont intensifié leurs efforts pour clarifier la définition et l’application de la notion de « développement durable ». Le nombre de réglementations en matière d’investissement responsable a augmenté à l’échelle mondiale, passant de moins de 50 en 2015 à plus de 5004 aujourd’hui.
Faire face aux critiques sur les problématiques ESG
Nous examinons ici certaines de ces critiques. Elles vont souvent trop loin et méritent d’être examinées de plus près sur la base des éléments suivants :
- L’ESG a permis d’attirer l’attention, et non de la détourner. Les efforts d’intégration des critères ESG ont mis en lumière des questions telles que le risque climatique et la diversité. Ils ont probablement permis d’accélérer les actions prises par les entreprises et les pouvoirs publics plutôt que de les freiner.
- Quelle est votre analyse contrefactuelle ? Il est vrai que de nombreux indicateurs environnementaux et sociaux se sont détériorés au cours des 20 dernières années. Mais l’environnement et la société se porteraient-ils mieux si le secteur de la gestion d’actifs avait ignoré les problématiques ESG comme c’était largement le cas avant 2004 ? C’est peu probable.
- Les indicateurs ESG ne sont que des données. Au niveau le plus élémentaire, les indicateurs ESG transmettent des informations objectives sur la gestion de l’entreprise qui peuvent avoir un impact significatif sur les résultats. Il est vrai que les données sont souvent peu divulguées, rarement auditées et diversement interprétées. Pour les investisseurs avertis, des données correctement analysées peuvent véhiculer des informations importantes qui peuvent contribuer à générer de la surperformance.
- Les frais ne sont pas le problème. Certains critiques affirment que les problématiques ESG ne sont qu’un prétexte pour facturer davantage. Si cela peut être le cas pour certains fonds passifs et leurs équivalents ESG, les données ne confirment pas cette affirmation pour la majorité des fonds ESG gérés activement. Dans la plupart des cas, les frais des fonds ESG sont similaires à ceux des fonds standard équivalents.
- Les enjeux ESG ne se limitent pas aux émissions. Si le changement climatique peut être considéré comme le principal risque systémique à l’échelle mondiale, il n’est pas le seul. Par exemple, si nous parvenons à réduire les émissions, mais que nous exacerbons les inégalités, nous ne faisons qu’échanger un risque systémique contre un autre.
Une étape nécessaire pour la finance
Avant la dénomination ESG, on parlait d’investissement socialement responsable. L’ISR[9] était dédié à la création d’un système économique juste et durable. Avec l’avènement des PRI, les facteurs ESG sont devenus la priorité. Les notions de responsabilité et d’irresponsabilité ont été supprimées pour laisser la place aux résultats, ainsi qu’aux risques et avantages financiers liés à la prise en compte de ces facteurs.
Le succès du mouvement ESG a ouvert la voie à un élargissement des débats sur l’avenir de la finance. Nous bouclons la boucle, en nous éloignant d’une approche purement financière de l’intégration des facteurs ESG pour reconnaître que les investisseurs ont un impact réel sur le monde, et que leur capacité à générer des performances durables dépend de la santé de la planète et de sa population. Plus de 270 gestionnaires d’actifs, en charge de quelque 61 000 milliards de dollars d’encours, se sont engagés à atteindre la neutralité carbone au sein de leurs portefeuilles d’ici 2050 en signant l’initiative « Net Zero Asset Managers »5.
Sans les efforts des PRI et d’autres regroupements internes au secteur, les questions ESG ne seraient pas aujourd’hui à l’ordre du jour de la plupart des conseils d’administration et aucune mesure ne serait prise pour assurer la transparence ESG et encourager les investissements dans les solutions en faveur du développement durable. Nous constatons également que le monde n’a pas fait suffisamment de progrès pour mettre en place une économie à bas carbone, écologiquement durable et inclusive, dont nous avons collectivement besoin pour garantir des performances à long terme. Cela signifie qu’il y a encore beaucoup à faire, en espérant qu’il soit encore temps.