Quand « l’or numérique » agonise, l’or physique brille aux yeux des banques centrales émergentes

Les cryptomonnaies portaient l’ambition d’une alternative au système financier contemporain dont les excès avaient jeté le monde dans la crise de 2008.

Mais l’onde du choc d’illiquidité de la plateforme FTX se propage (la plateforme Blockfi suspend les retraits). Elle souffle les fragiles édifices de la confiance et de l’espoir des épargnants. Elle révèle les mêmes stigmates du passé dérégulé de la finance traditionnelle : ceux d’un système en proie à la cupidité.

Pourrait-on imaginer en 2022 qu’une banque puisse accepter ses propres actions en garantie d’un prêt qu’elle accorde? Et pourtant, en acceptant sa cryptomonnaie native (le FTT) comme collatéral des emprunts de ses clients (à des fins d’investissement à effet de levier[1]) c’est l’impair que la plateforme fondée par l’influent Sam Bankman-Fried a commis… en plus de celui de bafouer le principe de ségrégation des comptes.

Sur les 16 milliards de dollars de dépôts de ses clients, 10 ont été prélevés par le hedge fund du fondateur (Alameda Research) afin de financer ses positions spéculatives… 8 milliards de dollars d’écart entre les actifs de la plateforme et son passif exigible séparent désormais la gloire passée du fondateur de la banqueroute.

La réaction a été sans appel. Un quart de la valeur du bitcoin a été effacé en deux jours. Une telle volatilité va durablement peser sur l’utilisation des actifs digitaux en tant que monnaie. L’euro existerait-il encore aujourd’hui s’il avait souffert de telles variations quotidiennes à la découverte des comptes de Dexia en octobre 2011 ou au gré des faillites et sauvetages successifs des banques italiennes ou espagnoles ?

Avec l’étendue croissante de leurs actions sur les marchés et des mesures prises à l’égard des banques commerciales depuis la crise de 2008, les banques centrales ont assis leur autorité. Mais leur crédibilité (et celle de leur devise) peut elle aussi être mise à l’épreuve, lorsque, comme c’est le cas actuellement, leur capacité à juguler les pressions inflationnistes est contestée.

Les banquiers centraux émergents sont alors en première ligne de front lorsque le combat mondial contre l’inflation commence. Ils doivent lutter contre la baisse de leur devise face au dollar qui se renchérit au fur et à mesure que la FED monte ses taux, alimentant d’autant la spirale inflationniste locale, renchérissant le service des intérêts de la dette libellée en devise étrangère, entamant les réserves de change[2]. Leur salut repose dans l’or.

Depuis 2018, les pays émergents ont dominé les achats de lingots réalisés par les banques centrales : la banque centrale russe est le premier donneur d’ordre (près de 600 tonnes accumulées en quatre ans), suive par la Turquie, l’Inde, la Pologne, le Kazakhstan et la Chine, très secrète quant à la tenue de ses comptes en métal précieux…

En 2022, c’est une véritable ruée vers l’or à laquelle se sont livrées les banques émergentes. Le volume négocié au troisième trimestre a quadruplé par rapport à la même période l’an dernier. Au cours des neuf premiers mois de l’année, 700 tonnes, un volume jamais vu depuis 55 ans, ont trouvé acquéreurs parmi ces investisseurs institutionnels. Perdant son leadership par manque de réserves en devises étrangères, la Russie a été remplacée sur le podium par la Turquie, l’Egypte et l’Iraq suivis de près par l’Ouzbékistan et l’Inde. La Chine, très active sur ce marché, conserve l’anonymat. On sait qu’entre 2017 et 2022, elle a pu acheter jusqu’à 1262 tonnes d’or par an… Premier producteur d’or au monde devant la Russie (suivies par l’Australie, le Canada et les Etats-Unis), l’Empire du Milieu peut s’approvisionner localement.

Contrairement aux devises, titres de propriété et créances étrangères, l’or stocké dans les coffres est à l’abri des sanctions économiques extérieures. L’organisation par l’occident du gel de 300 milliards d’actifs détenus à l’étranger par la banque centrale russe a créé un précédent.

Le repli du métal précieux cette année a achevé de convaincre les banquiers centraux émergents de l’opportunité de remplir les coffres. En 2022, l’or physique a baissé en raison de la hausse des taux d’intérêt réels en dollar. Un repli significatif de 7,2% (contre une baisse de 20% des obligations d’Etat et du crédit Investment Grade[3]) à comparer à l’agonie de l’or numérique, plébiscité par le Président du Salvador… En baisse de 63%, le Bitcoin coute aux fonds publics du pays 300 millions de dollars….

Par crainte de rendements jugés cependant trop faibles par rapport à l’inflation, les banquiers centraux émergents ont pu également juger opportun de diversifier leurs réserves hors des bons du Trésor américains.

Néanmoins, la publication d’une hausse des prix à la consommation plus faible que prévu (7,7%) aux Etats-Unis en octobre la semaine dernière a relancé les espoirs d’un pic atteint par l’inflation américaine. Les propos de Patrick Harker (FED de Philadelphie) qui semble en voie de considérer que l’effet de décalage entre la politique monétaire et ses conséquences sur la sphère réelle pourrait ne pas être aussi long que prévu ont fait oublier au marché les détails qui ternissent ces chiffres (une baisse historique des frais de santé causée par un changement de comptabilité du bureau des statistiques et une poursuite de la hausse de l’inflation dans les services).

Cela suffisait au marché pour détendre de lui-même et avant les prochaines mesures de la FED (qui devrait toujours monter ses taux de 50 points de base au prochain rendez-vous de politique monétaire) les conditions financières. En effet, sur la séance, les taux à 5 ans ont baissé de 30 points de base… Une amplitude que l’on ne retrouve que lorsque les banquiers centraux agissent concrètement (baisse des taux FED de 75 points de base le 22 janvier 2008, pivots de Greenspan en 1995, début du Quantitative Easing[4] en 2009 par exemple). Les marchés actions faisaient tout autant fi de ce diable qui réside dans les détails, le Nasdaq, grand perdant de 2022, s’offrant l’une des cinq plus belles performances des vingt dernières années (+7,5%). L’or progressait de concert avec les actifs risqués, exalté par la baisse des taux, enregistrant un rebond de près de 8% depuis 7 séances.
Il faudra néanmoins que l’inflation « sticky », la plus récalcitrante, mesurée par la FED d’Atlanta, montre de véritables signes de repli pour que l’on puisse s’assurer que le génie de l’inflation se décide enfin à s’en retourner à sa lampe. Enfin, n’oublions pas qu’en annonçant un relâchement des restrictions sanitaires, la Chine s’avance sur la voie de la réouverture de son économie. Le retour à la normale du principal importateur de matières premières au monde ne sera pas sans effet sur l’inflation mondiale…

Texte achevé de rédiger le 10 novembre 2022 par Thomas Planell, Gérant – analyste.

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Termes et définitions
1. effet de levier. L’effet de levier fait référence à l’utilisation de la dette ou de l’emprunt pour augmenter le potentiel de…
2. réserves de change. Les réserves de change sont des réserves de devises étrangères accumulées par une banque centrale ou un pays.…
3. Investment Grade ( Investment Grade ) L'expression "Investment Grade" (en français, "notation de qualité d'investissement") fait référence à la catégorie de qualité attribuée par les agences de notation aux obligations et aux émetteurs d'obligations.
4. Quantitative Easing ( Quantitative Easing ) Quantitative easing est une politique monétaire dans laquelle une banque centrale achète des actifs financiers tels que des…
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Si l’or avait une petite place dans le logiciel de la FED, on parlerait sans doute moins de pivot
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