Les semaines se suivent et se ressemblent sur les marchés obligataires, balancés entre attentisme, patience et volatilité, inflation, banques centrales et géopolitique…
Au milieu de cela, alors que le portage a significativement augmenté ces dernières semaines sur les obligations d’entreprises et que les publications n’ont révélé aucune surprise tant les entreprises sont prudentes depuis deux ans, nous considérons qu’il est préférable de ne pas opérer de bascules significatives tant les mouvements sont erratiques, les scenarios macros incertains et l’illiquidité importante. Seules quelques opportunités émergent de temps à autres mais ne devront pas modifier significativement les équilibres d’un portefeuille obligataire, au risque de rallonger significativement la durée de recouvrement.
Une question vient alors vite aux lèvres : « mais jusqu’à quand devra-t-on patienter et surtout jusqu’à quel niveau de taux les marchés obligataires peuvent-ils aller ? » Car l’attente reste douloureuse pour bon nombre d’investisseurs…
Nous ne parlerons pas ici des causes idiosyncrasiques du niveau des taux, qu’il s’agisse des corporates ou des souverains, a fortiori la France dont les élections présidentielles devraient, la semaine prochaine, avoir un impact sur les primes des OAT mais également sur l’Euro ou les périphériques, que ce soit un resserrement modéré ou un écartement massif, mais plutôt des options et difficultés de la BCE, qui se poseront quel que soit le résultat de l’élection puisqu’elles se posent déjà significativement…
Le problème de la BCE est ce que nous pourrions appeler un quadrilemme entre inflation, déficit budgétaire, endettement massif et dichotomies nationales : les uns poussent à une politique restrictive, les autres à une politique accommodante et certaines combinaisons semblent insolubles… en l’état actuel du fonctionnement de l’Eurozone et des institutions…
Et c’est bien là le principal sujet que nous souhaitions aborder aujourd’hui ; la BCE est parvenue à sauver l’Eurozone dans la décennie 2010, puis a tenté de relancer la croissance et maintenir une inflation légèrement positive en injectant moultes liquidités sans jamais y parvenir et en créant de facto des déséquilibres sociaux, économiques, géographiques et nationaux majeurs, aboutissant à deux nouvelles crises dont on observe déjà les prémices : une crise politique et une crise de confiance dans la BCE elle-même. Puis sont venues s’ajouter une crise sanitaire et une crise géopolitique qui ont, à elles deux, déclenché une inflation significative et relativement durable.
Avant d’aborder les solutions envisageables pour la BCE dans ce quadrilemme, notons tout d’abord une cocasserie relative au discours de la BCE et les attentes des marchés d’une politique plus restrictive. La théorie économique et monétaire explique que l’inflation est une conséquence, ou un effet collatéral, de la croissance, liant ainsi les deux agrégats économiques. Ainsi, pendant une décennie, la BCE a considéré qu’il était nécessaire de relancer l’inflation pour tenter de relancer la croissance partant du principe que l’effet de conséquence dans un sens pouvait également jouer dans l’autre sens, surtout pour éviter la déflation qui, elle, est la plupart du temps source de récession. Mais l’observation de cette décennie passée nous pousse à conclure que la masse de liquidités injectées n’a rien fait sur l’inflation puisque jamais la BCE n’est parvenue à atteindre ses objectifs en termes d’inflation.
Et d’un coup, d’abord en 2020 puis en 2022, deux secousses, l’une sanitaire, l’autre géopolitique, sont venues tirer l’inflation sur des niveaux de 5% à 8% jamais atteints par la BCE. Cette dernière aurait pu conclure que, sa politique n’ayant rien fait sur l’inflation endogène pendant dix ans, elle ne pourrait rien faire sur une inflation exogène, c’est-à-dire importée par des produits comme le pétrole, qui réduit la marge des entreprises, réduit les liquidités détenues par l’Eurozone (puisqu’on les dépense en pétrole à l’étranger), réduit les capacités d’investissement et d’augmentations des salaires. Eh bien non ! La BCE a conclu que, parce que ses liquidités n’avaient rien fait pour créer de l’inflation pendant une décennie, elle pourrait tout de même la détruire en pratiquant une politique inverse… Drôle de raisonnement qu’ont également eu les marchés, toujours plus axés sur le quantitatif plutôt que d’entrer dans les composantes qualitatives des chiffres : de quoi est faite l’inflation, où est elle, qui concerne-t-elle ?…
Il est donc aujourd’hui admis par ‘le marché’ que la BCE montera ses taux au moins trois fois d’ici la fin 2022. Outre le fait qu’elle doit donc très vite stabiliser son bilan et ne pas trop faire de trêve à l’été puis en fin d’année pour y parvenir, nous noterons que ces hausses de taux et ces réductions de bilan, non encore réalisées ont déjà un impact significatif sur les taux longs, a fortiori sur les dettes périphériques, comme en témoigne les graphiques ci-dessous qui montrent 1/ la hausse des taux généralisée en Europe, 2/ la hausse des écarts entre pays, contre laquelle avait lutté la BCE pendant une décennie pour promouvoir une certaine harmonisation de l’Eurozone.