Quel avenir pour les valeurs « Sin » (péché) ?

Les investisseurs particuliers qui ont marqué leur préférence pour une part d’investissement ESG [1] en renseignant leur profil client au format MiFID II [2] vont-ils le regretter en voyant les résultats trimestriels des valeurs pétrolières ? Si la performance des fonds ESG semble avoir pesé sur la collecte en 2022, les investisseurs voient plus loin pour protéger la planète, et ses habitants.

« Black gold is so hot right now ! » [3], lançait le podcast FT News Briefing,le 8 février, avant d’annoncer les résultats de Shell, avec des profits de 28,3 milliards de dollars en 2023. De quoi donner des regrets aux investisseurs qui ont commencé à verdir leurs actifs ? « Malgré leur valorisation faible après la baisse de l’an dernier, la dynamique boursière du secteur pétrolier n’est pas porteuse. Les valeurs du secteur de l’énergie ont souffert l’an dernier. », note Françoise Rimeu, Stratégiste Senior à La Française. « D’une manière plus générale, les matières premières baissent depuis la fin du 1er trimestre 2022, l’absence de la thématique des énergies fossiles de fonds ESG et ISR n’a donc leur a donc pas coûté de performance l’an dernier comme cela avait été le cas l’année précédente ».

Un intérêt fluctuant des particuliers pour l’ESG ?

En 2022, le début de la guerre en Ukraine et la flambée des prix des énergies fossiles avait entraîné celle des valeurs du secteur, comme de celui la défense, avec Thalès finissant en tête du CAC40. « Le secteur de l’énergie, où l’on trouve [les] majors [4], est déjà moins présent dans les fonds durables que d’autres secteurs. C’est pourquoi la performance des fonds durables a décroché en 2022 [-14,09 % sur les 2 000 fonds cotés labellisés en Europe selon Novethic, NLDR], ne bénéficiant pas des excellents résultats boursiers des énergies fossiles. », indiquait Novethic dans son communiqué sur les fonds durables au 31 juillet 2023.

« 2021 a été une année de belle surperformance des fonds ESG européens par rapport aux fonds traditionnels tandis que 2022 a été une année de sous-performance, en particulier des énergies renouvelables », ajoute Eric Bertrand, Directeur des gestions d’Ofi Invest Asset Management. « Les thématiques ESG ont connu leur essor dans la période post-Covid et ont progressé très vite en termes de performance, notamment grâce aux énergies vertes ». Ainsi, les encours des fonds durables européens avaient progressé de 94 % en 2021, selon le Novethic Market Data. Mais la collecte sur les ETF [5] ESG a ensuite fondu, passant, selon Morningstar, de 62 % de la collecte totale des ETF en 2022, à 29 % l’an dernier.

Sous-performance des fonds article 9

La performance moyenne des « 2 000 fonds cotés labellisés en Europe » s’est rétablie, affichant +13,52 % au premier semestre 2023 (Source Novethic). Mais ces performances sont à nuancer entre fonds plus ou moins exigeants en matière d’ESG. « Les fonds article 8 surperforment les article 6 en 2023. », indique Louisa Florez, Directrice des Recherches en Finance Responsable chez OFI Asset Management.« L’article 8 de la réglementation SFDR qui consiste à faire de la promotion des caractéristiques sociales et environnementales peut en effet englober différentes approches, de la simple exclusion des quelques secteurs controversés à une prise en compte plus poussée des enjeux de durabilité, ce qui est le cas chez Ofi Invest AM ».

La partie est plus rude pour les fonds qui obéissent à des critères ESG plus exigeants. « Selon une étude publiée par JP Morgan en janvier 2024, les fonds classés article 9 [6] ont sous-performé les fonds article 6 [7] tout au long de l’année 2023, ainsi que sur 2 et 3 ans ». Les fonds articles 9, souvent investis des entreprises actives en matière de climat, dont les producteurs d’énergies renouvelables, ont été pénalisées en bourse l’an dernier notamment du fait de la hausse des taux d’intérêt. « Les investissements de ces fonds sont concentrés sur quelques secteurs comme celui de la santé, et des services aux collectivités. Leurs univers d’investissement sont plus restreints », ajoute Louisa Florez.

2,5 milliards de décollecte sur les fonds ESG

Selon le rapport Global Sustainable Fund Flows de Morningstar, la collecte sur les fonds durables s’est établie à 23,6 milliards de dollars (chiffre révisé) au niveau global au deuxième trimestre 2023. Elle a ensuite fondu à 13,7 milliards de dollars au troisième trimestre 2023. Les attentes des investisseurs individuels en matière de durabilité ont-elles tendance à fluctuer avec la performance des fonds ? « On assiste à des sorties des fonds articles 8 et 9 au quatrième trimestre 2023, qui s’expliquent principalement par les sorties des investisseurs américains. », note Louisa Florez. « La collecte sur les fonds durables est positive en Europe sur l’année 2023 ». Au quatrième trimestre 2023, les rachats sur les fonds durables ont atteint 2,5 milliards de dollars, avec un record de 5 milliards aux Etats-Unis, qui affichent là leur quatrième trimestre de décollecte nette, en pleine polémique sur l’ESG.

Priorité à la durabilité de long terme

« Les investisseurs regardent plutôt la valeur ajoutée des fonds ESG que la performance de court terme. Ils vont plutôt scruter les indicateurs de durabilité, les mesures d’impact, notre engagement et la dynamique que cela implique au sein des entreprises concernées. », ajoute Louisa Florez. Au-delà de la performance, l’objectif principal des clients investis dans ce type de fonds, c’est plutôt l’enjeu de la durabilité à long terme. Pour un particulier, il peut notamment être important de ne pas investir dans les énergies fossiles », ce que label ISR [8] dans sa nouvelle mouture exclut désormais.  

Peu tentés de revenir aux titres « sin », alors les particuliers ? « On se rend compte en regardant l’indice Bloomberg que le vice ne paie pas », observe la Directrice des Recherches en Finance Responsable chez OFI Asset Management. L’indice Bloomberg VICEX US Equity comprend les industries des boissons alcoolisées, de la défense et de l’aérospatiale, des jeux et du tabac. Les valeurs du « péché »  ont pu être mises en avant par le passé pour leur rendement, et notamment leur prime de risque liée aux controverses ou au durcissement de la réglementation. Toutes ne sont pas exclues de l’univers durable, dont les frontières ne sont pas clairement définies. Pour ce qui est de l’alcool, certains labels européens excluent les alcools forts, mais pas le vin et la bière. Question de culture. L’usage et les types d’armes utilisées en cas de conflit, comme le phosphore blanc ou les armes incendiaires, font aussi débat.

Un univers durable aux contours flous

« Nous excluons les armes non conventionnelles de nos investissements, de même que certaines armes conventionnelles controversées en raison des dommages disproportionnés qu’elle font subir aux populations civiles conformément aux Conventions internationales. »,précise Eric Bertrand. « Les armes fabriquées dans l’intention de protéger les populations pourraient avoir leur place dans les fonds ESG. Le fait de les commercialiser peut poser question. Ces valeurs peuvent-elles être retenues par des gestions ESG, nous y réfléchissons. La frontière entre ces différents types de valeur n’est pas évidente. »

Le Paris-aligned Benchmark(PAB) indique des lignes rouges que l’Esma retient dans ses guidelines sur l’utilisation du terme « durable » qui seront publiées entre avril (en anglais) et juin prochain (traductions) : sont exclues les armes controversées, violation des normes internationales [9], énergies fossiles et tabac.


[1] Environnement, social, gouvernance

[2] Markets in Financial Instruments Directive

[3] « L’or noir est très en vogue aujourd’hui ».

[4] compagnies pétrolières les plus emblématiques

[5] Exchange Traded Funds, fonds indiciel cotés

[6] Fonds qui contribuent à des objectifs de la durabilité selon la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation)

[7] Fonds ne présentant pas de caractéristiques ESG.

[8] Investissement Socialement Responsable

[9] Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, normes de l’OIT (Organisation Internationale du Travail)…

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