Les consommateurs souffrent

Les marchés tendent à se stabiliser après le rebond technique de ces deux dernières semaines, tout en restant très volatils. Ils bénéficient des signes de reprise en Asie (réouverture en Chine et rebond de la consommation au Japon) et de la stabilisation des anticipations de hausse de taux directeurs après qu’elles aient fortement augmentées au début du mois. Beaucoup de mauvaises nouvelles sont déjà dans les prix des actifs, ce qui limite le potentiel de baisse. Mais nous restons prudents dans un contexte où les perspectives économiques se dégradent, où l’inflation ne ralentit pas (encore ?) et où les banques centrales continuent de vouloir resserrer leur politique monétaire rapidement.

  • BCE : vers moins de risque de crises de dette, mais vers plus de hausses de taux. Christine Lagarde a rassuré les marchés hier, en indiquant que la BCE pourrait utiliser la flexibilité dans les réinvestissements du PEPP[3] à partir du 1er juillet et en confirmant que la BCE présenterait un nouvel instrument plus puissant pour combattre le risque de fragmentation financière. Cela permet à l’écart entre les taux 10 ans italiens et allemands de repasser sous les 190pb. Mais la contrepartie de la réduction du risque financier est que la BCE pourra remonter ses taux plus rapidement pour combattre l’inflation, ce qui n’est pas au total très positif pour les actifs risqués européens.
  • Sur le plan des données économiques, les mauvaises surprises s’accumulent des deux côtés de l’Atlantique. Les enquêtes des Fed régionales confirment que l’économie américaine ralentit nettement en juin alors que l’enquête IFO[4] sur le climat des affaires en Allemagne pour le mois de juin est venue confirmer les inquiétudes sur l’évolution de l’activité future.
  • Mais c’est surtout la confiance des consommateurs qui chute de nouveau fortement aux Etats-Unis comme en Europe et atteint en septembre des niveaux très faibles – un plus bas depuis plus de 10 ans aux Etats-Unis et en Zone Euro et un plus bas historique au Royaume-Uni. D’un côté, ce n’est pas étonnant que les ménages soient de plus en plus pessimistes face à la hausse des prix et, désormais, au resserrement des conditions financières (hausse des taux d’emprunt, baisse de la valorisation de leurs actifs…). Mais d’un autre côté, la rapidité et l’ampleur de la baisse de la confiance des ménages, alors même que les marchés de l’emploi sont encore solides, nous font craindre un ralentissement très marqué de l’économie dans les prochains mois. En effet, si ces enquêtes ne sont pas infaillibles pour prévoir le cycle économique, elles sont peut-être les meilleurs indicateurs avancés[1] dont nous disposions.

Lors de l’ouverture de la conférence de la BCE à Sintra hier, Christine Lagarde a rassuré les marchés, en indiquant que la BCE pourrait utiliser la flexibilité dans les réinvestissements du PEPP (c’est-à-dire acheter un peu plus de dette italienne) à partir du 1er juillet. Cela renforce sa crédibilité car il s’agit du premier outil de défense contre l’écartement des rendements souverains dont la BCE parle depuis plus de six mois, mais qu’elle n’a jusqu’à lors pas mis en œuvre.  Elle a également confirmé que la BCE présenterait un nouvel instrument plus puissant pour combattre le risque de fragmentation financière dans un contexte de resserrement monétaire. Les attentes du marché sur ce point sont élevées, comme le montre le resserrement de l’écart entre les taux 10 ans italiens et allemands en dessous des 200pb. La BCE ne devra pas décevoir sur ce point, au risque d’entraîner un nouvel écartement important des spreads souverains. Surtout, la contrepartie de la réduction du risque financier est que la BCE pourra remonter ses taux plus rapidement pour combattre l’inflation, ce qui n’est pas au total très positif pour les actifs risqués européens. Ainsi, Christine Lagarde a dit que ces outils contre la fragmentation financière devaient permettre à la BCE de remonter ses taux « autant qu’il sera nécessaire » pour combattre l’inflation. Avec une inflation qui devrait encore accélérer en juin à plus de 8,5%, les marchés pourraient revoir encore à la hausse leurs anticipations de hausse de taux.

La confiance des consommateurs américains baisse plus qu’attendue en juin selon l’enquête du Conference Board.

La consommation tient encore bien au 2eme trimestre. Contrairement à l’indicateur de l’Université du Michigan, cette mesure de la confiance des consommateurs n’est pas à un plus bas historique (elle est au même niveau qu’en 2015-2016, légèrement au-dessus des niveaux atteints lors du premier confinement et bien au-dessus de ses points bas atteints lors de la crise financière de 2009). Cela s’explique par la bonne situation actuelle des ménages. En effet, les consommateurs jugent que leur situation actuelle reste très bonne, proche de ses plus hauts post-Covid, notamment grâce à la solidité du marché du travail. Ainsi, l’écart entre le nombre de sondés qui indiquent que les opportunités d’emplois sont abondantes par rapport à ceux répondant qu’elles sont difficiles à trouver reste proche de ses points hauts de fin 2021/début 2022, et au-dessus de son niveau pré-crise. C’est historiquement un très bon indicateur du taux de chômage, et cela suggère que ce dernier devrait rester très bas cet été (3.6% en mai). La résilience de l’indicateur de confiance actuel, qui est le mieux corrélé aux dépenses actuelles des ménages, suggère également que la consommation tient pour l’instant.

En revanche, les consommateurs américains sont très pessimistes pour la seconde partie de l’année. Les ménages indiquent que leur confiance dans les perspectives se dégrade rapidement, comme le montre la composante « anticipations » de l’enquête qui baisse à un plus bas depuis près de 10 ans en juin. C’est en ligne avec l’indicateur de l’enquête de l’université du Michigan qui est à un plus bas depuis les années 1970. Les détails de l’enquête montrent que les craintes liées à l’inflation pour les prochains mois continuent de progresser et que les ménages anticipent désormais un net resserrement des conditions financières (hausse de taux et baisse du marché actions), ce qui les rend plus prudents quant aux perspectives du marché de l’emploi et de revenus et pèse sur leur volonté de réaliser des gros achats.  Les anticipations des ménages sont un indicateur avancé de l’économie, même s’il est loin d’être infaillible. Sa forte baisse ces derniers mois vers des niveaux très faibles suggère donc que le risque d’un ralentissement net de l’économie dans les prochains trimestres est important.

La confiance des consommateurs en Europe chute encore plus qu’aux Etats-Unis.

La confiance des consommateurs au Royaume-Uni a chuté en juin au plus bas depuis que l’enquête de GFK a été créée en 1981. Cela est cohérent avec l’accélération historique de l’inflation qui devrait entraîner une baisse importante du pouvoir d’achat des ménages cette année. A cela s’ajoute le coût du Brexit et les incertitudes politiques – Boris Johnson continuant de pousser une loi qui désactiverait le protocole sur l’Irlande du Nord et qui pourrait remettre en cause l’ensemble de l’accord sur le Brexit avec l’UE – et le gouvernement Ecossais qui essaye d’organiser un nouveau référendum d’indépendance l’année prochaine. Au total, le Royaume-Uni est à grand risque de stagflation[2] et la Banque Centrale est dans une situation extrêmement compliquée. Dans ce contexte, nous ne parions pas sur un rebond de la livre dans les prochains mois.

Pour la Zone Euro, la confiance des consommateurs est passée en juin en dessous de son niveau du premier confinement et n’a été plus faible qu’actuellement qu’au pic de la crise de la dette souveraine et de l’austérité fin 2012. Elle baisse plus qu’attendue dans l’ensemble des pays ayant publiés leur enquête pour juin. Cela suggère que l’impact du choc d’inflation dépasse désormais largement le soutien lié à la réouverture des économies post-omicron et au dynamisme des marchés de l’emploi. Au total, si la croissance devait rester positive au 2ème trimestre grâce à la forte dynamique de réouverture de l’économie d’il y a quelques mois, et pouvait bénéficier d’un fort rebond du tourisme cet été, le risque de récession pour la seconde partie de l’année augmenterait nettement.

Notons que pour une fois les ménages français sont moins pessimistes que la moyenne de la Zone Euro alors que les pays cœurs le sont plus (Allemagne, Pays-Bas…), ce qui s’explique probablement par l’inflation un peu plus faible en France que dans le reste de la zone, et par l’exposition plus élevée des pays cœurs aux conditions extérieures. Cela dit, la France est loin d’être immune à la détérioration des perspectives, comme l’illustre la forte révision à la baisse des anticipations de croissance du gouvernement pour 2022, à 2,5% contre 4% prévu au début de l’année. Et cette nouvelle prévision apparait encore optimiste.

Termes et définitions
1. indicateurs avancés. Les indicateurs avancés sont des outils utilisés pour analyser les données financières et les performances d’une entreprise. Ils…
2. stagflation. La stagflation est un phénomène économique caractérisé par la conjonction d’une stagnation économique et d’une inflation élevée. Cela…
3. PEPP ( PEPP ) Le PEPP, ou Plan d’Achat d’Urgence Pandémique, est un programme exceptionnel d’achats d’actifs lancé par la Banque Centrale…
4. IFO ( IFO ) L’Institut IFO est un centre de recherche économique basé en Allemagne, à Munich, fondé en 1949. Il est…
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